À Alexandre Cloutier, Sylvain Gaudreault et Véronique Hivon, collègues juristes de ma génération,

D'abord, félicitations à tous les trois pour votre réélection le 7 avril. Ensuite, je tiens à souligner combien je vous suis reconnaissant pour vos remarques quant aux errances du Parti québécois par rapport à la Charte des valeurs. Pendant de longs mois, je me suis demandé, et je n'en étais pas le seul: comment se fait-il que les Cloutier, Gaudreault et Hivon - des juristes jeunes, dynamiques et cosmopolites - se taisent et appuient la Charte des Marois et Drainville? De toute manière, j'espère que ces mots enrichissent vos réflexions et celles des autres membres modérés de votre parti.

Depuis septembre, j'enseigne le droit constitutionnel en français. Admettons que l'Université McGill n'est peut-être pas le terrain le plus fertile de votre formation politique. Reste que j'ai essayé de garder un équilibre en m'abstenant de favoriser une perspective des grands débats constitutionnels et politiques plus qu'une autre. Or, je vous avoue que les décisions prises par votre parti depuis l'été dernier ne m'ont pas facilité la tâche.

Quel défi de taille que d'initier les étudiants de première année aux droits de la personne sans que l'inconstitutionnalité du projet du ministre Drainville leur saute aux yeux! Le droit à la liberté de religion? Il faut se garder d'imposer les pratiques religieuses de la majorité aux membres d'une minorité. La limitation des droits dans l'intérêt collectif? Le gouvernement doit la justifier par une preuve claire qu'il a choisi des moyens raisonnables afin de s'attaquer à un vrai problème. Il doit en outre comparer les préjudices qu'impose la loi à ses victimes par rapport aux bénéfices qu'elle génère pour la société.

Qui plus est, les porte-parole de votre parti se distanciaient des droits de la personne, comme si ceux-ci n'étaient qu'une émanation impérialiste canadienne-anglaise ou étrangère. Or, vous le savez bien, le respect des droits de la personne est une tradition authentiquement québécoise. C'est le Québec qui a choisi d'adhérer aux obligations internationales dans ce domaine. Le Québec a fait figure de pionnier en étendant la protection de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne aux gais et lesbiennes dans les années 70.

D'ailleurs, c'est une relecture contemporaine des implications de la liberté et de la dignité de la personne qui anime votre projet de loi sur les soins de fin de vie, Me Hivon.

Quant à l'avenir, des personnes proches du PQ ont déjà évoqué le choix déchirant entre faire du Québec un pays souverain et offrir aux Québécois un bon gouvernement. Il serait présomptueux pour moi de me prononcer là-dessus.

N'empêche que la saine vie démocratique exige l'alternance du pouvoir d'un grand parti capable de gouverner à un autre. Quelles qu'en soient les forces et les réalisations, le gouvernement libéral de Philippe Couillard s'usera éventuellement. C'est normal. Le Québec ne devra-t-il pas avoir alors une option viable à la gauche du Parti libéral du Québec?

Nous entendons fréquemment et bruyamment les soi-disant ténors de votre parti. Dans les prochains mois, assurez-vous que vos voix soient également entendues.