D'abord minée par l'immobilisme, puis par la corruption et la collusion, la métropole aurait intérêt à se ressaisir avant de décliner. Mais que manque-t-il à Montréal pour lui donner un nouvel élan? C'est avec cette question en tête que François Cardinal a visité les grandes villes du pays. Il a ramené dans ses bagages trois réponses. Nous vous présentons aujourd'hui la dernière.

Au Québec, on s'attend à ce que les gouvernements et les municipalités répondent aux attentes des citoyens en imposant leurs solutions. Mais les citoyens n'ont-ils pas aussi leur rôle à jouer? N'oublie-t-on pas, lors des remue-méninges sur l'avenir de Montréal, l'implication du plus grand nombre? L'engagement étant le noyau de toute communauté forte, il y a lieu de se demander: à quoi ressemblent les citoyens engagés?

1. Ils apprécient leur ville

Montréal va bien. Affirmer une telle chose, par les temps qui courent, est un acte subversif. Et pourtant, Montréal va réellement bien. Certes, il y a ces histoires de corruption, mais derrière se trouve une métropole résiliente, qui se tire mieux d'affaire que la plupart des villes nord-américaines dans le contexte économique actuel.

Pêle-mêle, la construction résidentielle est en hausse. Le nombre de faillites diminue. Le tourisme atteint des records. Le revenu des familles augmente. Le nombre de grues est aussi élevé qu'aux Jeux olympiques. Les Montréalais sont les plus grands utilisateurs des transports collectifs per capita du continent. Et le Grand Montréal dépasse les autres régions métropolitaines du pays en matière de diplomation postsecondaire.

Dur à croire, mais il suffit de voyager ailleurs au pays pour constater l'envie que suscite la métropole. À Toronto, on se demande comment Montréal a réussi à diminuer le taux de pauvreté et à accroître le nombre de cyclistes aussi vite. À Calgary, on se pâme sur le BIXI et le nombre de grues qu'on retrouve ici. Et à Ottawa, on tente de cerner le secret de cette ville qui semble se retrouver dans tous les palmarès internationaux...

Et pourtant, ici même, on voit Montréal en noir. On semble incapable de lui trouver une seule qualité. On le conspue, le critique, le dénigre. Pas étonnant que le sentiment d'appartenance se soit érodé ces dernières années, selon les sondages de la Fondation du Grand Montréal.

On ne cesse de déplorer l'absence de grands projets collectifs. Or sont-ils même possibles dans un tel contexte?

2. Ils votent, s'intéressent au municipal

Tout le paradoxe du municipal est là: on souhaite tous un maire fort, des élus intègres et des gestes courageux... mais on ne prend même pas la peine de se déplacer pour élire ces gens censés être à la hauteur de nos attentes.

À Montréal, en 2009, à peine 38% des citoyens ont exercé leur droit de vote. Et à Rivière-des-Prairies, dimanche lors d'une élection partielle, le taux n'a pas dépassé 21%... malgré l'indignation générale.

Se peut-il qu'on regarde encore le secteur municipal de haut? Qu'on s'en désintéresse par méconnaissance? Et ce, même si les grandes villes ne sont plus ces banales municipalités offrant quelques services à la propriété?

«Les gens tendent à oublier que les villes de Montréal, Toronto et Vancouver sont énormes si on les compare avec d'autres villes à l'étranger, fait remarquer le maire de Calgary, Naheed Nenshi. Calgary est la 12e ville la plus importante en

Amérique du Nord, tandis que Montréal est à peu près 7e. On retrouve donc plus de gens dans ces deux villes que dans cinq des provinces canadiennes réunies...»

En s'abstenant, on laisse ainsi à d'autres le soin de veiller sur ces énormes villes, devenues gouvernements. En ne visitant jamais son conseil municipal, on baisse toute garde démocratique. En ne demandant aucun compte, on permet à des élus de gérer des sommes d'argent astronomiques comme bon leur semble...

Aujourd'hui, tout près de 70% des Canadiens habitent une agglomération urbaine. Plus de 90% de la croissance démographique se concentre dans ces régions métropolitaines. Si bien que le Canada se classe tout en haut des pays les plus urbanisés de la planète.

Et pourtant, on traite encore le municipal comme un ordre inférieur, comme dans le «bon vieux temps»...

3. Ils redonnent à la communauté

La «communauté». Voilà un mot sous-utilisé en français auquel on aurait intérêt à recourir plus souvent, comme le font les anglophones, pour qui la community est le centre de l'engagement civique.

Alors que les Québécois de souche ont davantage une attitude de gérants d'estrade par rapport à leurs gouvernants, les Canadiens et les Anglo-Québécois sont nombreux à se faire un devoir de s'engager, de s'investir, de redonner à leur communauté. Impliqués, ils sont moins durs à l'endroit de leur ville...

«Ce n'est pas vrai qu'une municipalité peut tout faire à elle seule. Elle doit pouvoir s'appuyer sur la société civile pour réaliser de grandes choses», souligne Ken Greenberg, ancien directeur du design urbain à la Ville de Toronto.

Et c'est la même chose pour les citoyens corporatifs, d'ailleurs. Il suffit de se promener à Toronto, de croiser le nouveau Royal Ontario Museum, le Art Gallery of Ontario ou le Evergreen Brick Works pour observer les immenses bienfaits qu'apporte l'engagement corporatif.

«Ailleurs au pays, l'implication sociale - le community involvement - est extrêmement valorisée, confirme le président de la Fondation du Grand Montréal, Dick Pound. Souvent, c'est considéré comme un devoir moral. Si vous ne le faites pas, vous êtes mal vu comme dirigeant et votre entreprise est mal vue. À Montréal, ce n'est pas encore comme ça.»

4. Ils font leur part

Le 29 septembre dernier, en un beau samedi matin, plus de 200 bénévoles se sont donné rendez-vous dans un parc de la Petite-Bourgogne. Ils se sont retroussé les manches, puis, en huit heures à peine, ils ont réussi à aménager 240 m2 de modules de jeu tout neufs... d'abord imaginés par les jeunes du quartier.

C'était une première pour Montréal. Jamais un parc n'avait ainsi été transformé par une armée de bénévoles, aidée par une fondation privée. Pourtant, comme le soulignait récemment le comité de sages mis en place par l'Union des municipalités du Québec, «le citoyen n'est pas uniquement un bénéficiaire de services publics municipaux, mais un partenaire de l'action municipale».

Voilà d'ailleurs pourquoi le maire de Calgary, Naheed Nenshi, a décidé de faire de cet engagement la pierre angulaire de son mandat en proposant aux électeurs un pacte nouveau genre: la Ville promet de travailler pour les citoyens, mais en échange, ces derniers doivent s'engager à travailler pour la Ville. Le maire leur a ainsi demandé de faire «trois gestes pour Calgary», du simple coup de balai devant leur commerce à la mise sur pied d'une organisation communautaire.

«Un citoyen a installé son BBQ sur son terrain avant pour que ses voisins en profitent, donne comme exemple le maire Nenshi. Il y a même un garçon qui a invité chez lui une fillette seule qui venait d'arriver à l'école en pleine année...»

5. Ils s'organisent

Il y a actuellement à Montréal un regain d'intérêt pour les consultations publiques. Que ce soit pour échanger sur l'agriculture urbaine, l'avenir de Griffintown ou le Plan métropolitain d'aménagement (PMAD), les citoyens sont au rendez-vous, nombreux. Et ils font la différence.

Prenons le cas du PMAD: il a été largement bonifié par les citoyens, organisations et groupes communautaires qui, ensemble, ont déposé pas moins de 344 mémoires, dont 92 par de simples citoyens. La CMM a même été obligée de faire passer ses séances de consultation de 7... à 17!

L'apport des citoyens aux politiques publiques est primordial, comme l'ont constaté toutes les personnes ayant mis leur grain de sel dans le Plan. Mais pour que l'apport civique soit systématique, pour qu'il devienne un réflexe, pour qu'il fasse une réelle différence, les citoyens doivent s'organiser, soutient Christopher Harper, ancien président de la Federation of Calgary Communities.

«Il est important d'engager les citoyens dans toutes les décisions politiques, pas juste de façon ponctuelle, estime-t-il. C'est pourquoi les citoyens de Calgary ont décidé de s'organiser dans leurs différents quartiers sous forme d'associations communautaires, puis qu'une fédération a été créée pour chapeauter tout cela.»

L'idée est de permettre à la communauté de se prendre en main, d'orienter les décisions politiques, de mettre de l'avant des mesures citoyennes pour rendre les quartiers plus sûrs, plus vivants, plus dynamiques. Tous les enjeux y passent, de la planification urbaine aux activités sportives en passant par la vie communautaire.

«C'est bien beau de critiquer, précise Chris Harper, mais il faut aussi s'organiser si on veut que les choses changent.»

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Lisez les deux autres volets de la série:  Comment redémarrer Montréal: un maire fort et Comment redémarrer Montréal: une plus grande mobilité