D'abord minée par l'immobilisme, puis par la corruption et la collusion, la métropole aurait intérêt à se ressaisir avant de décliner. Mais que manque-t-il à Montréal pour lui donner un nouvel élan? C'est avec cette question en tête que François Cardinal a visité les grandes villes du pays. Il a ramené dans ses bagages trois réponses. Nous vous présentons aujourd'hui la deuxième.

Pour décongestionner la métropole, il faut que Montréal et Québec s'impliquent, mais aussi Ottawa, en élaborant une stratégie nationale de transports en commun.

Vous êtes de retour de vacances, frais et dispos. Vous embarquez dans l'auto, en ce beau lundi matin, avec les meilleures intentions du monde. Vous démarrez... pour vous coincer rapidement dans un bouchon de circulation et perdre aussitôt votre sérénité des derniers jours.

Frustré, vous repensez aux villes visitées pendant l'été, puis la question surgit: pourquoi eux, mais pas nous?

Pourquoi les citoyens de Munich et de Lyon ont-ils droit à de superbes réseaux de transports en commun neufs, mais pas nous? Pourquoi les usagers de Barcelone et de Vienne peuvent-ils circuler rapidement aux quatre coins de la ville, mais pas nous?

Parce qu'ils habitent des villes plus riches que Montréal? Dans ce cas, pourquoi Lisbonne et Kansas City sont-elles capables de se payer des tramways modernes? Pourquoi Bogotá et Portland sont-elles en mesure de développer des réseaux collectifs aussi efficaces?

Manifestement, ces villes ont compris quelque chose qui nous échappe. Car à Montréal, les projets sont certes nombreux sur les planches à dessin, mais ils sont à peu près inexistants sur le terrain.

Le prolongement du métro sur l'île? On en discute depuis l'ouverture de la dernière station en 1988! La navette vers l'aéroport? Le projet tel qu'on le connait a été abandonné. Le train sur Champlain? Qu'une intention. Et le tramway? Pas plus qu'un rêve...

Il reste le Train de l'Est et l'autobus express Pie-IX. Mais le premier sert à quitter l'île tandis que le second peine à quitter l'état de projet.

Rien pour diminuer la frustration des Montréalais coincés dans le trafic. Et pourtant, «les meilleurs investissements qu'une ville peut faire sont ceux qui servent à développer les transports collectifs», lance d'un air convaincu le maire de Calgary, Naheed Nenshi.

Les plus optimistes rétorqueront que les projets s'en viennent. Après tout, la STM compte investir 2 milliards au cours des trois prochaines années. Mais il suffit d'analyser ces dépenses pour s'apercevoir que 70% des sommes serviront à...«maintenir les actifs» !

Bref, au moment où la congestion s'aggrave et l'affluence du transport en commun explose, on se contente de remplacer les bus et voitures de métro, retaper les ateliers de maintenance et colmater les fuites! Et ce, même si le réseau est déjà à pleine capacité!

Ah oui! On s'apprête quand même à augmenter les tarifs de la STM pour une 13e fois en autant d'années...

Un problème canadien

Pourquoi eux, mais pas nous, donc?

Avant de répondre, un tour des autres grandes villes du pays s'impose. Car ce que l'on observe à Toronto, Calgary et Ottawa, c'est que toutes ces villes se plaignent du même manque à gagner. Toutes ont de bien beaux projets sur papier, mais toutes peines à les faire lever.

Se pourrait-il que le problème ne soit pas tant montréalais que... canadien?

C'est ce qu'affirment les maires du pays. «Ce n'est tout simplement pas possible pour les villes de payer pour de grands projets de transports en commun», indique Jim Watson, maire d'Ottawa, avec l'air résigné du dirigeant impuissant.

Partout au pays, on retrouve des villes qui, comme Montréal, n'ont pas les moyens de développer d'imposants projets. Partout, des provinces qui, comme le Québec, augmentent leurs investissements en transports collectifs, sans faire bien plus que de «maintenir les actifs» et de réaliser un gros projet de temps en temps.

Qu'ont donc Munich, Lyon, Barcelone et Vienne que n'ont pas Toronto, Calgary, Ottawa et Montréal?

Un gouvernement central résolu à décongestionner les grandes villes du pays.

Le Canada, en effet, est le seul gouvernement du G8, voire le seul membre de toute l'OCDE à ne pas avoir de politique nationale sur le transport en commun. Le seul.

Pour s'en convaincre, l'Association canadienne du transport urbain a mandaté l'an dernier la firme de consultants Stantec. Cette dernière a eu beau chercher un pays occidental sans politique nationale, elle n'en a pas trouvé.

La France, par exemple, a fait des transports collectifs un élément-clé de ses politiques environnementales. La Nouvelle-Zélande a créé un fonds à long terme pour financer les projets régionaux de transport, surtout collectifs. Même le Japon, où le gouvernement s'est toujours tenu loin des transports en commun, a récemment emboîté le pas.

Ces pays ne sont pas des fédérations? Dans ce cas, citons l'Allemagne, qui transfère aux autorités locales les fonds nécessaires pour les transports collectifs. Citons les États-Unis, où l'administration Obama, malgré la récession, a maintenu son financement aux États pour les transports en commun. Citons l'Australie, qui a créé une unité «grandes villes» puis a élaboré une politique nationale en faveur des transports collectifs.

Pas étonnant, selon Éric Turcotte, associé principal d'Urban Strategies. «Avoir une vision d'ensemble permet d'aborder les transports en commun de façon plus volontaire, croit-il. Cela donne le ton pour toutes les grandes villes.»

Une stratégie nationale

Pourquoi eux, donc? Parce qu'ils profitent d'un appui sans équivoque du gouvernement central, et parce qu'ainsi, de haut en bas, tous les élus contribuent à décongestionner les grandes villes du pays.

Le Canada devrait-il combler cette lacune et élaborer une stratégie nationale? Certainement, ont répondu tous les intervenants rencontrés au pays, incluant le maire Nenshi. «En 2004, Stephen Harper estimait que le fédéral n'avait rien à voir avec les villes. Mais il a depuis changé d'idée, comme on l'a vu avec son plan de relance. Il suffit qu'il poursuive dans la même veine.»

Et cela est moins utopique qu'on pourrait le croire. D'abord parce qu'Ottawa travaille à l'élaboration d'un nouveau programme d'infrastructures pour 2014 dans lequel une telle stratégie pourrait avoir sa place. Ensuite parce que les conservateurs ont créé dans le passé la Fiducie pour l'infrastructure du transport collectif (2006-2010), en plus de contribuer au financement de grands projets locaux, comme le prolongement de la ligne de métro Toronto-York, le projet de train léger d'Ottawa et l'expansion du service de trains légers à Calgary.

Le problème n'est donc pas l'absence du fédéral dans ce domaine, mais bien l'absence de vision du fédéral dans ce domaine. Son incursion se limite en effet à des fonds dépensés à la hâte pour construire des arénas et des terrains de soccer, ou à des débours ponctuels, sans lendemains. Il dit oui à l'implantation de la ligne Evergreen à Vancouver, ou encore à l'expansion du train léger à Edmonton, mais il refile à Québec la facture du train léger sur Champlain...

«Or ce dont les villes ont réellement besoin, ce ne sont pas des paiements épisodiques, mais plutôt un financement prévisible et récurrent, afin de pouvoir planifier les transports en commun à long terme», croit Ken Greenberg, urbaniste canadien de grande réputation.

Cela vaut pour Calgary, pour Toronto, pour Ottawa et aussi pour Montréal. Malgré les tensions constitutionnelles que l'on imagine. Il serait en effet possible pour le Québec de trouver avec le fédéral un terrain d'entente afin que cela soit davantage une collaboration qu'une intrusion, comme ce fut le cas avec le plan de relance.

«Je comprends que cette incursion fédérale dans une juridiction provinciale puisse être mal vue par Québec, précise l'ancien maire de Toronto David Miller. Mais rappelons que la santé économique de Montréal a d'importantes répercussions sur toute la province.»

Mais attention! On ne parle pas de remplacer le financement de Montréal et de Québec par celui d'Ottawa. Plutôt d'ajouter le financement de ce dernier à une participation accrue de la ville et de la province. La première aurait en effet intérêt à créer un fonds dédié aux transports collectifs, tandis que la seconde devrait non seulement hausser la taxe sur l'essence, comme le demande la CMM, mais aussi récupérer certains investissements routiers au profit des transports en commun, comme l'a promis le PQ lors des élections.

Tous les échelons doivent faire leur part. Voilà ce que nous enseignent ces villes qui nous rendent verts de jalousie au retour des vacances.

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Lisez les deux autres volets de la série: Comment redémarrer Montréal: un maire fort et Comment redémarrer Montréal: des citoyens engagés