Il y a parfois de ces sujets qui titillent la méfiance du lecteur. Celui de mercredi dernier, «Où Domtar et Résolu paient-elles leurs impôts?», en fait partie.

Dans cette chronique, j'expliquais aux lecteurs que Domtar et Produits forestiers Résolu (AbitibiBowater) devaient payer des impôts au Canada et au Québec bien qu'elles soient incorporées au Delaware, le petit État américain reconnu mondialement comme une sorte de «paradis» de l'immatriculation de grandes sociétés inscrites en Bourse.

Des lecteurs se demandaient si une telle immatriculation au Delaware avait essentiellement pour but d'éviter de payer de l'impôt dans les pays où les entreprises brassaient des affaires.

Non! Pascal Bossé, le porte-parole de Domtar qui a son siège social au Québec malgré son incorporation américaine au Delaware, a expliqué que l'entreprise était assujettie à l'impôt corporatif dans toutes les juridictions (pays) où elle exploite des usines. Le montant des impôts à payer dans chacun des pays repose sur les bénéfices que l'entreprise y réalise.

Mais pourquoi s'incorporer au Delaware lorsqu'on a son siège social au Québec, comme c'est le cas de Domtar? Parce que, selon M. Bossé, l'acquisition de la division des papiers fins de l'américaine Weyerhaeuser en mars 2007 ne pouvait se réaliser à l'époque que par l'incorporation de la charte de la nouvelle entité de Domtar aux États-Unis. Produits forestiers Résolu (AbitibiBowater) a fait de même lorsque la québécoise Abitibi Consolidated s'est fusionnée avec l'américaine Bowater.

S'incorporer aux États-Unis c'est une chose, mais pourquoi plus spécifiquement le faire dans le Delaware?

«Il est vrai que le Delaware offre une fiscalité parmi la plus avantageuse des États-Unis, mais on est loin d'un paradis fiscal», explique l'avocat Jean-Philippe Couture, du bureau Borden Ladner Gervais.

«En fait, l'impôt fédéral américain n'y est pas plus bas qu'ailleurs aux États-Unis, seulement l'impôt prélevé au niveau de l'État, que ce soit les taxes sur les revenus ou sur la propriété/capital. Au bout du compte, la fiscalité du Delaware est probablement similaire ou un peu plus élevée à celle en place au Canada. Dans ce contexte, on ne parle jamais du Canada comme un «paradis fiscal». Dans les faits, l'avantage fiscal du Delaware n'est pas aussi important qu'on pourrait le croire ou que votre article le laisse croire.»

Si ce n'est pas pour des raisons fiscales qu'un grand nombre d'entreprises s'immatriculent au Delaware, pour quel autre motif est-ce?

«Afin d'éviter de créer inutilement du cynisme ou de la méfiance dans la population, vous devriez aussi expliquer aux gens que l'avantage principal du Delaware est son droit corporatif, rétorque Me Couture. Le droit corporatif du Delaware est parmi le plus avancé et flexible au monde. Le Delaware offre une multitude de formes d'incorporation et la compétence de ses tribunaux en matière corporative est reconnue et respectée mondialement.»

Selon Me Couture, le choix du Delaware comme lieu d'incorporation pour Domtar et Résolu doit avoir un lien avec leur fusion respective avec les américaines Weyerhauser et Bowater.

« Le droit du Delaware et la fiscalité américaine ont probablement permis à ces sociétés de fusionner leurs activités avec celles de leurs consoeurs américaines sans entraîner une disposition pour les détenteurs d'actions désirant continuer à détenir des actions de la nouvelle société. «

Le spécialiste explique que le droit corporatif et la fiscalité canadienne sont très peu flexibles et offrent très peu d'options lors de regroupements avec des sociétés étrangères.

Depuis le début du XXe siècle, le Delaware a développé une expertise particulière en droit corporatif, ce qui explique pourquoi un grand nombre de bureaux d'avocats spécialisés y a pignon sur rue.

À la fin de 2011, le Delaware comptait 945 000 entreprises commerciales actives, ce qui dépasse légèrement son nombre d'habitants, soit 910 000 personnes. Plus de 50% des sociétés inscrites à la cote de la Bourse de New York sont enregistrées au Delaware. Rien de moins que 63% des entreprises répertoriées dans le Fortune 500 ont également élu domicile au Delaware.

Avec de tels chiffres, on comprend pourquoi le gouvernement du Delaware se vante d'être favorable aux entreprises, avec un personnel de la « Division of Corporations « orienté vers le client, une loi sur les entreprises considérée comme la plus moderne et la plus flexible des États-Unis et une Cour spécialisée dans les affaires commerciales.

Pourquoi le Delaware? Parce que c'est le paradis du droit corporatif !