La première ministre Pauline Marois et le chef de la CAQ François Legault veulent tous les deux que la Caisse de dépôt et placement du Québec protègent nos entreprises contre les prises de contrôle par des compagnies étrangères.

La chef péquiste pourra donc mettre de l'avant son engagement électoral de recentrer la mission de la Caisse de dépôt et placement en vue de redevenir «un instrument de développement d'envergure capable de soutenir» l'économie québécoise.

«Pour ce faire, avait-elle dit lors de la campagne électorale, un fonds d'investissement stratégique de 10 milliards de dollars sera mis en place. Sa mission sera de protéger nos entreprises contre les prises de contrôle par des compagnies étrangères et de stimuler l'émergence et la croissance de secteurs clés au Québec.»

Comment justifie-t-elle ce changement de mission de la Caisse?

«Astral, La Senza, Alcan, Domtar, Bauer, Van Houtte, Abitibi-Consolidated, Sico, la liste des sièges sociaux quittant le Québec ne cesse de s'allonger depuis neuf ans. Aujourd'hui, c'est le siège social et la propriété de Rona qui sont menacés. Nous devons agir avec force. En rétablissant la mission de développement économique de la Caisse au Québec, nous pourrons reprendre le contrôle de notre développement et rester maîtres chez nous.»

Mme Marois reproche au gouvernement Charest d'avoir modifié en 2004 la mission de la Caisse de dépôt «dans le but de subordonner» la mission de développement économique du Québec à celle du rendement absolu. «L'appât du gain a mené la Caisse aux conséquences que nous connaissons, soit des milliards de dollars perdus dans le papier commercial et des pertes encore plus lourdes lors de la crise de 2008. L'orientation donnée à la Caisse par Jean Charest a aussi eu comme effet d'accélérer l'exode des sièges sociaux du Québec.»

Que propose-t-elle pour contrer les OPA (offre publique d'achat) hostiles? Mme Marois veut renforcer le pouvoir des conseils d'administration des compagnies québécoises, en changeant la Loi sur les sociétés par actions. Les administrateurs appelés à se prononcer sur une offre d'acquisition devront obligatoirement tenir compte, en plus de l'appréciation de la valeur de l'action, de l'intérêt général de l'entreprise, de l'intérêt des travailleurs, de celui de la collectivité.

Conclusion de la première ministre: «La Caisse a été créée pour soutenir le développement économique du Québec. Il est grand temps que les Québécois reprennent le contrôle de leur économie. C'est maintenant à nous de choisir entre s'enrichir collectivement ou enrichir quelques individus seulement.»

La question ultime: jusqu'à combien d'argent peut-on demander à la Caisse de dépôt et de placement du Québec d'investir dans l'achat d'actions d'une entreprise québécoise qui fait l'objet d'une OPA de la part d'une entreprise étrangère ou canadienne hors Québec?

Il ne faut jamais oublier que plus la Caisse va investir des sommes importantes dans les entreprises québécoises convoitées par les «étrangers», plus elle risque de perdre des sommes importantes advenant une baisse marquée de la valeur des actions. En Bourse, il n'y a jamais rien d'acquis...

Permettez-moi un douloureux petit rappel. L'ancien patron de la Caisse, Henri-Paul Rousseau, croyait sincèrement réaliser en 2007 une très bonne affaire avec les 13 milliards de dollars investis dans le PCAA. La crise financière de 2008 l'a complètement déjoué. Résultat: la Caisse a encaissé une lourde provision pour perte de 5,9 milliards avec son PCAA.

Lors de l'euphorique période boursière qui a précédé la crise financière de 2008, le Québec a vu l'un de ses beaux fleurons, Alcan, se faire acheter par la multinationale anglo-australienne Rio Tinto. Il n'y a pas seulement les péquistes qui ont dénoncé cette prise de contrôle étrangère sur Alcan. Le chef de la CAQ, François Legault, a qualifié la vente d'Alcan comme étant «une erreur irréparable», tout en affirmant que les décisions de la multinationale sont maintenant prises à Londres ou en Australie.

Retour en mai 2007. Alcan fait l'objet d'une OPA de la part de la multinationale américaine Alcoa, au prix de 58,60$ US l'action. Rio Tinto renchérit avec une offre bonifiée. Et le 17 septembre 2007, Rio Tinto y va d'un gros coup avec une offre à 101$ US l'action.

Coût total de la transaction d'achat d'Alcan: 38 milliards US.

Les titres des sociétés minières sont en folie et le demeurent jusqu'en mai 2008. Alcoa frappe un sommet à 43,15$ US et Rio Tinto à 138,73$ US.

Arrive par la suite la fabuleuse crise mondiale de 2008 qui perdure jusqu'en mars 2009. Puis, la crise des dettes souveraines européennes qui frappe d'aplomb à partir de 2011.

Conséquense? Les grandes sociétés minières ont vu le cours de leurs actions chuter. Alcoa se négocie aujourd'hui à 9,65$ US, en baisse de 77% par rapport à mai 2008. Rio Tinto s'échange pour sa part à 51,25$ US, accusant une baisse de 63% sur son haut de 2008.

La société Alcan a été cédée en 2007 à 101$ US l'action. Si Alcan était restée cotée en Bourse, il va sans dire que le titre aurait lui aussi chuté fortement par rapport à son haut de 2007.

Soyons généreux et limitons-nous à une baisse de 50%, ce qui est nettement inférieur à la chute subie par Alcoa et Rio Tinto. À 50% de baisse, cela signifie que la valeur «actualisée» d'Alcan serait aujourd'hui de 19 milliards de dollars US.

Hypothèse. Si la Caisse avait réussi à contrer l'OPA de Rio Tinto, elle se retrouverait aujourd'hui propriétaire d'une société qui vaut 19 milliards US de moins que le prix versé.

C'est trois fois plus que la perte du PCAA.

Une chance qu'on jase!