Des traders d'obligations racontent avec une bonne dose d'ironie que la chancelière allemande, Angela Merkel, doit se «mordre les lèvres» pour garder son sérieux en écoutant les doléances des autres leaders européens, qui croulent sous les dettes.

«À la Finanzagentur - l'agence chargée de placer les emprunts d'État allemands -, on doit danser sur les bureaux», ajoutait un négociateur londonien, cité récemment par un média européen, lorsque des investisseurs se sont littéralement jetés sur des obligations allemandes, à deux ans, offrant un juteux rendement... de -0,6%!

Autrement dit, certains sont prêts à payer pour s'approprier des titres d'emprunts de la solide économie allemande. Même la récente menace de Moody's d'abaisser la note de crédit de l'Allemagne n'a pas ébranlé la demande des investisseurs ces derniers jours.

À vrai dire, les gens à Berlin n'iront pas minimiser la gravité de la crise en Europe qui, à long terme, aura des conséquences pour tous, incluant les industriels allemands qui dépendent largement du marché européen.

Une chose est claire, cependant: l'Allemagne émerge comme le pays qui profite le plus de la crise.

Avec des coûts d'emprunt très bas, voire nuls, le trésor allemand épargnera environ «10 milliards d'euros par an» en frais financiers, calcule le prestigieux Institut économique mondial de Kiel, dans le nord du pays.

Et en se basant sur les projections d'emprunts de l'État, l'Allemagne épargnera la somme faramineuse de 68 milliards d'euros - près de 85 milliards canadiens - d'ici 2022 en sécurisant ses emprunts ces jours-ci comparativement aux taux payés avant 2008. Des économies à faire rêver tous les trésoriers de la planète.

Sécurité d'abord

Certes, l'Allemagne n'est pas le seul pays européen à prêter à des taux négatifs. L'Autriche, la Suisse et même la France ont réussi de tels financements récemment pour des échéances plus courtes.

Qu'est-ce qui pousse un investisseur à accepter de perdre de l'argent pour prêter à un État? Comme l'épargnant qui loue un coffre à la banque, certains sont prêts à débourser une somme modique pour placer leur argent dans un endroit sûr. C'est le prix à payer pour dormir sur ses deux oreilles.

«Entre perdre un peu d'argent en toute sécurité ou investir dans des pays à risque sans certitude de récupérer ses biens, il n'y a guère de choix», résume Patrick Jacq, de BNP Paribas, dans un commentaire financier.

Une bonne affaire

Outre leurs coûts d'emprunts moindres, les Allemands profitent aussi, plus que tout autre pays, de la chute de l'euro qui stimule les exportations, principal moteur de la première économie européenne.

L'industrie allemande en retire ainsi des avantages concurrentiels «au moins 10 fois plus grands» que l'aide promise par Berlin aux pays moribonds de la zone euro, soutient Nathan Sheets, économiste de la banque Citigroup.

Selon lui, l'ancienne devise allemande - le mark - vaudrait hypothétiquement environ 20% de plus aujourd'hui que l'euro si l'on retournait en arrière. La faiblesse de la monnaie unique a donc pour effet d'accroître de 4% par an le PIB allemand - ou environ 100 milliards d'euros - au moyen des exportations.

Cela représente plus de 10 fois la contribution (8,7 milliards d'euros) que le gouvernement allemand a promise initialement au mécanisme de sauvetage permanent de la zone euro (MES) lorsque celui-ci sera mis sur pied.

Le gouvernement Merkel est bien conscient de ce que cela signifie sur le terrain. Selon l'agence nationale du travail, la hausse des échanges commerciaux uniquement avec la Chine et l'Europe de l'Est a permis de créer près de 500 000 emplois en Allemagne depuis 10 ans. Un taux de change avantageux, sans être un facteur décisif, a joué un grand rôle dans l'exploit des exportateurs du pays.

Ce qui fait dire à M. Sheets et à d'autres que l'Allemagne fait une bonne affaire à soutenant les pays en difficulté du Vieux Continent. Et même si ça grogne dans les chaumières de la Bavière, Berlin n'a pas intérêt à laisser la zone euro éclater du jour au lendemain.