Research in Motion (T.RIM) espérait montrer à quel point le concepteur du BlackBerry a réussi à se renouveler depuis que ses rivaux Apple et Samsung l'ont éclipsé, provoquant des pertes et des licenciements massifs.

Dans la salle de concert mal ventilée de l'Université Wilfrid Laurier où près de 300 actionnaires et journalistes se sont entassés pour l'assemblée annuelle de RIM à Waterloo, hier, des photos surdimensionnées des nouveaux dirigeants ont été projetées sur grand écran.

Il y avait le nouveau chef du marketing (Frank Boulben), le nouveau chef de l'exploitation (Kristian Tear), le nouveau chef des affaires juridiques (Steve Zipperstein). C'est sans oublier le grand patron, Thorsten Heins, cet ingénieur qui a succédé au tandem Mike Lazaridis-Jim Balsillie, et dont c'était la première assemblée comme président et chef de la direction.

Mais ce n'est pas le renouvellement que les actionnaires de RIM avaient en tête. Ils rêvent d'un grand coup de balai au conseil d'administration. Ils attendent un regard neuf, s'appuyant sur une connaissance profonde de l'industrie de la techno et des marchés émergents où BlackBerry progresse encore.

Le coup de balai n'est pas venu. Le conseil de RIM est resté intact pour l'essentiel. Même si 5 des 10 administrateurs de l'entreprise de Waterloo, tous en poste depuis cinq ans et plus, ont fait l'objet d'un vote de protestation significatif, équivalant à plus de 20% des actions exprimées.

C'est John Richardson qui récolte l'honneur douteux de l'administrateur le moins populaire, les actionnaires s'étant opposés à sa réélection dans une proportion de 30% des titres exprimés. Ce n'est guère surprenant. Les consultants en votation Glass Lewis avaient recommandé aux actionnaires institutionnels de ne pas renouveler le mandat de cet administrateur en poste depuis neuf ans en raison de sa surveillance trop relâchée des dirigeants lors du scandale des options d'achat d'actions dont la date d'octroi avait été trafiquée.

Du petit actionnaire à l'investisseur institutionnel activiste, ils ont tous décrié le maintien de ce statu quo lors d'une assemblée ouvertement conflictuelle.

«Comment avez-vous pu laisser les choses se détériorer ainsi?», s'est lamenté Philip Rason, qui rêve d'une révolte d'actionnaires comme celle qui s'est produite au Canadien Pacifique. Cet actionnaire de Kitchener a aussitôt réclamé le renvoi du conseil d'administration, ce qui lui a valu des applaudissements nourris de nombreux investisseurs déçus.

«Si l'action d'une entreprise perd 80% de sa valeur, c'est peut-être un signe que le conseil d'administration devrait partir», a ironisé Martin Chmiel, analyste en produits dérivés de Waterloo qui représentait son père actionnaire à l'assemblée, lui-même ayant tout écoulé toutes ses actions de RIM.

D'un air grave dans son costume noir et sa chemise blanche à peine égayés par une cravate aux accents rouges, Thorsten Heins a cherché à se montrer empathique. «Nous ne considérons par votre appui à la légère ou comme s'il était inconditionnel», a-t-il dit d'entrée.

«Je peux vous assurer que je ne suis pas satisfait de la performance de l'entreprise au cours de la dernière année», a ajouté ce dirigeant.

Mais, au-delà de ces paroles apaisantes et de la gestuelle flegmatique de ce grand gaillard, Thorsten Heins garde obstinément le cap. Attendre la sortie du nouveau système d'exploitation BlackBerry 10, la nouvelle génération de téléphones intelligents dont le lancement a été reporté au début de 2013. Et brader les appareils plus anciens d'ici là, ce qui amputera nécessairement les profits. RIM croit avoir assez de liquidités pour tenir jusque-là, a fait savoir son chef de la direction financière, Brian Bidulka.

Tout au plus Thorsten Heins évoque-t-il des partenariats ou des alliances au moyen de licences. Aucun changement de cap dramatique n'est envisagé.

Or, il n'y a aucune marge d'erreur dans ce scénario de RIM qui exige une exécution parfaite. Le BB10 devra être la huitième merveille du monde pour stopper la chute accélérée de RIM et lui faire regagner des parts de marché.

La société semble si persuadée de son succès que son nouveau chef du marketing, Frank Boulben, va jusqu'à dire qu'il y a un bon côté au lancement tardif du BB10, au début de 2013 - au moment où les consommateurs sont fauchés! -, puisque l'appareil aura plus de facilité à se faire remarquer, n'étant pas noyé dans les lancements et promotions des Fêtes. On se demande bien pourquoi!

Les actionnaires de RIM aimeraient bien eux aussi boire le Kool-Aid. Mais, Research in Motion ne leur donne pas de quoi étancher leur soif.

En quoi le BB10 sera-t-il si révolutionnaire?

Thorsten Heins se fait avare de précisions pour ne pas, dit-il, montrer ses cartes aux rivaux de RIM. Tout au plus a-t-il annoncé hier que l'entreprise lancera la version avec un clavier à écran tactile avant la version avec un clavier QWERTY à touches.

Qu'arrivera-t-il si le BB10 est un flop? Ou juste un petit succès? C'est la question que pose avec justesse Vic Alboini, président du conseil et chef de la direction de Jaguar Capital, un investisseur militant de Toronto qui est entré au capital de RIM il y a un an et qui brasse la cage depuis.

Il croit qu'une majorité d'actionnaires préférerait vendre l'entreprise ou la scinder en deux, pour maximiser la valeur de leurs actions, plutôt que de courir à l'échec avec un projet pour lequel RIM exprime, selon ses dires, un «optimisme artificiel». En simple, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.

RIM demande à ses actionnaires échaudés de faire preuve d'une confiance presque aveugle à son endroit. Toutefois, l'entreprise n'a clairement pas convaincu les hommes et les femmes qui s'étaient déplacés hier.

La présidente du conseil, Barbara Stymiest, a coupé court à l'assemblée après 90 minutes avant même que les actionnaires aient pu poser toutes leurs questions. Et longtemps après sur le trottoir brûlant des actionnaires mécontents ont ruminé leurs frustrations.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca