C'est l'année de Londres, avec les Jeux olympiques et les festivités qui marquent le 60e anniversaire du couronnement de la reine Élisabeth II. Mais ce n'est pas pour des raisons aussi festives que cette capitale financière attire les regards. Car l'enquête sur la manipulation du taux interbancaire Libor, qui a fait les manchettes toute la semaine, n'est que la dernière affaire d'une série de scandales qui partent de la City.

Peu avant la comparution de Robert Diamond, cet ex-chef de la direction de Barclays fraîchement «démissionné» qui est allé jusqu'à mettre en cause l'intégrité de la Banque d'Angleterre, il y a eu ce négociateur délinquant de JPMorgan Chase&Co. La «baleine de Londres», comme Bruno Michel Iksil était surnommé, a fait perdre plus de 2 milliards de dollars à cette banque américaine avec des opérations de couverture hasardeuses qui ont tourné au vinaigre. Les pertes sont du même ordre chez UBS, où le négociateur Kweku Abodoli est accusé de fraude après avoir piloté une série de transactions non autorisées.

Là où il y a de l'homme et de l'argent, il y a de l'hommerie, direz-vous. L'ennui, c'est qu'il ne s'agit vraisemblablement pas d'incidents isolés, comme l'enquête sur la manipulation du Libor est en voie de le démontrer.

Le ciel est tombé sur la Barclays et ses dirigeants, qui ont été punis pour avoir été les premiers à collaborer avec les autorités. Mais cette investigation, qui a pris une autre tournure, hier, avec l'ouverture d'une enquête criminelle du Serious Fraud Office, ne fait que commencer pour toutes les autres banques impliquées.

Établi à Londres, le Libor est un taux d'intérêt de référence utilisé dans des transactions se chiffrant dans les milliers de milliards de dollars. Il capte en fait le taux auquel les institutions financières se prêtent de l'argent entre elles. En ce sens, c'est un baromètre de la nervosité du système financier. Plus le Libor est élevé, plus les institutions financières sont craintives et ferment le robinet du crédit.

Le mécanisme par lequel ce taux influent est fixé est cependant vulnérable à la manipulation. Une quinzaine d'institutions financières estiment les taux d'intérêt auxquels les autres banques leur prêteront de l'argent, sans que ces estimations ne s'appuient sur des transactions concrètes. Ces estimations sont ensuite soumises sur une base volontaire à l'agence financière Thomson Reuters, qui compile le Libor pour l'Association britannique des banquiers.

En 2007 et en 2008, Barclays se démarquait en soumettant les taux les plus élevés. La troisième banque du Royaume-Uni, qui n'a pas été renflouée par le gouvernement britannique, paraissait ainsi vulnérable. Elle a donc délibérément abaissé ses soumissions de taux afin de paraître plus solide.

Mais, si Barclays a joué avec ses soumissions, combien d'autres institutions financières l'ont également fait pour mieux paraître? Surtout en pleine crise financière, alors que les investisseurs et les consommateurs se réfugiaient chez les institutions les plus fortes.

Cette supercherie en apparence répandue ne fait qu'ulcérer davantage les Britanniques, les gens de la rue comme les parlementaires, qui sont dégoûtés par la faillite morale de leurs banquiers. L'animosité qu'ils entretiennent envers la City est d'ailleurs beaucoup plus vive que celle qui s'observe aux États-Unis à l'endroit de Wall Street, malgré la dénonciation populaire du club fermé des 1% les plus riches.

À Londres, où je me trouvais en début d'année, les primes versées aux banquiers et aux patrons de Network Rail ont suscité un tel tollé que plusieurs dirigeants y ont finalement renoncé. C'est le cas très publicisé de Stephen Hester, chef de la direction de la Royal Bank of Scotland, qui a pourtant été recruté après la crise financière pour redresser cette banque contrôlée à 83% par les contribuables.

La critique des banquiers est féroce. De Robert Diamond, un ancien secrétaire aux entreprises, Lord Mandelson, a déjà dit qu'il représentait le «visage inacceptable» de l'industrie bancaire, en raison de sa rémunération stratosphérique et de son arrogance.

Mais la City le rend bien aux Britanniques et aux journalistes dont ils se méfient farouchement. Devant un comité parlementaire, Robert Diamond a affirmé l'an dernier que la «période des remords et des excuses des banques était terminée».

La remarque n'est pas sans rappeler certains commentaires de Jamie Dimon, chef de la direction de JPMorgan, l'une des institutions américaines qui ont le mieux traversé la crise financière, ce qui lui donnait un certain ascendant jusqu'à ce que le scandale de la «baleine de Londres» éclate. «Il ne faut pas que la réforme réglementaire crée une bureaucratie excessive et des coûts permanents et inutiles», dénonçait encore Jamie Dimon au printemps.

Mais cette offensive antiréglementaire vient de tomber à plat. Encore cette semaine, JPMorgan Chase s'est retrouvée au centre d'une enquête sur une possible manipulation du marché de l'énergie en Californie et au Midwest, la banque ayant même retenu des courriels qui lui avaient été réclamés sur un ordre de la cour.

Si même les institutions les meilleures sont incapables de déceler les pratiques délinquantes au sein de leurs filiales et équipes, si un seul trader peut causer des pertes se chiffrant dans les milliards de dollars, cela signifie que le système financier n'est pas encore réparé. Et qu'il est toujours vulnérable.

En même temps, la réglementation a ses limites. Si on peut interdire aux institutions bancaires de spéculer avec leur argent propre, on ne peut pas réglementer l'honnêteté.

Que reste-t-il? Peut-être faut-il plus de Serious Fraud Office. Peut-être qu'il n'y a que la justice criminelle pour dissuader les institutions financières et leurs négociateurs de se lancer dans des opérations étourdies qui pourraient les conduire à leur perte. Peut-être que la justice doit accuser les individus concernés et les jeter à la prison en cas de condamnation.

Car à l'évidence, les amendes comme celle de 455 millions de dollars qui a été imposée à la Barclays ne suffisent pas. Elles pénalisent surtout les actionnaires de ses institutions. Par les dirigeants qui se retirent avec leurs parachutes dorés.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca