Disons qu'une gentille gardienne me tombait du ciel le week-end de la Saint-Jean-Baptiste - scénario hautement improbable, j'en conviens. Où irais-je?

Chicago me vient spontanément en tête. Éclipsée à tort par New York, cette ville d'architecture, de musique et de bouffe est mésestimée. Je n'aurais même pas à payer d'hôtel. Paul, un vieux copain d'université, se ferait un plaisir de m'héberger.

Il suffirait de payer l'avion. Mais voilà, ce n'est pas, ce n'est jamais un détail. Vérification sur le site d'Expedia hier, le billet aller-retour sans escale le moins cher s'élève à 1152$.

Par contre, si je me rends à l'aéroport de Burlington, il m'en coûtera 544$ pour un vol direct aux mêmes dates (départ le 22 juin, retour le 26 juin). Bien sûr, je pourrais faire une escale en chemin et payer moitié moins pour décoller de Montréal. Mais chaque trajet me demanderait sept ou huit heures... C'est encore plus rapide de rouler jusqu'au Vermont!

Les Canadiens sont de plus en plus nombreux à faire cette comparaison. Surtout les retraités dont les jours de vacances ne sont plus comptés. Qui ne connaît pas un proche qui a décollé pour la Floride de l'aéroport de Plattsburgh, qui se décrit comme l'«aéroport américain de Montréal»!

Selon les estimations du Conseil des aéroports du Canada, les Canadiens ont traversé la frontière 4,8 millions de fois pour prendre l'avion dans un aéroport américain en 2011. Cela représente une hausse de 15% comparativement à 2010.

Même en supposant qu'il y ait un peu d'enflure dans les statistiques de cette association, cette progression rapide devrait sonner l'alarme à Ottawa. Malheureusement, le gouvernement fédéral fait encore la sourde oreille devant les doléances - justifiées - de l'industrie aérienne.

En substance, le ministre fédéral des Transports, Denis Lebel, a opposé une fin de non-recevoir aux recommandations du comité sénatorial permanent des transports et des communications, un comité bipartite dont sept des douze membres, dont l'ex-ministre Josée Verner, sont d'allégeance conservatrice.

Que recommande ce comité? D'établir une politique nationale cohérente pour accroître le transport aérien au pays. De réduire graduellement à zéro les loyers facturés aux aéroports. Et de rétrocéder la propriété des aéroports aux autorités qui les administrent avec des baux à long terme.

«Le loyer des aéroports représente moins de 1% du prix total du billet d'avion, a expliqué par courriel Geneviève Sicard, attachée de presse du ministre Lebel. Ce n'est donc probablement pas un facteur clé dans la décision d'un voyageur d'utiliser les services d'un aéroport aux États Unis plutôt qu'au Canada.»

Pour vous donner un ordre de grandeur, les huit premiers aéroports du pays ont payé 268 millions en loyers en 2009, indique le rapport du comité sénatorial. Les coûts de ces loyers sont refilés aux transporteurs et, par ricochet, aux voyageurs. Ils ne sont peut-être pas un «facteur clé» en soi. Mais ils font partie de l'ensemble de l'oeuvre.

Car dans le prix final d'un billet se trouvent bien des choses. Les droits de Nav Canada pour le contrôle aérien. Les frais d'améliorations aéroportuaires. Les taxes d'accise sur le carburant (qui devaient disparaître avec la TPS, mais qui sont restées). La taxe spéciale sur la sécurité introduite après les attentats du 11 septembre 2001. Puis la TPS qui s'applique sur l'ensemble de ces charges, et non sur le seul prix du billet, de sorte que le gouvernement taxe ses propres taxes. Ouf!

Au total, ces charges peuvent faire enfler de 60% à 75% le prix d'un billet d'avion. Dans les aéroports américains qui concurrencent les aéroports canadiens, en comparaison, ces charges n'augmentent que de 10% à 18% le prix des billets. C'est toute la différence entre un pays qui considère les aéroports comme des infrastructures concurrentielles et un pays qui les voit comme des vaches à lait.

Faut-il s'étonner que le Forum économique mondial ait classé le Canada au 125e rang de 139 pays pour ce qui est des prix des billets et des frais aéroportuaires en 2011?

En plus, la formule pour calculer les loyers des aéroports, qui varie, est inéquitable. Les loyers sont calculés en fonction des revenus des aéroports, de sorte qu'ils s'apparentent à un impôt. Cet impôt, qui peut atteindre 12% du chiffre d'affaires, est ainsi prélevé sur les revenus tirés d'aérogares et de jetées qui n'étaient même pas construites lorsque Ottawa a cédé la gestion des grands aéroports du pays, voilà 20 ans.

Ottawa considère que les coûts associés au transport aérien doivent être assumés par l'industrie selon le principe de l'utilisateur payeur. Mais à l'évidence, toutes les industries ne sont pas égales.

Le gouvernement vient de créer une unité antiterroriste pour protéger les installations pétrolières de l'Alberta. Pourtant, ce n'est pas l'industrie énergétique qui en assumera les coûts, mais les contribuables par l'entremise de la GRC. En quoi la sécurité de cette industrie est-elle différente de celle du transport aérien ?

Considérer les aéroports comme une seule industrie plutôt que des infrastructures essentielles à la compétitivité d'un pays correspond à une vision étroite de l'économie. Des billets d'avion à bas prix favorisent la mobilité de la main-d'oeuvre et permettent de réduire les coûts de la plupart des entreprises. Cela, c'est en plus des retombées directes des aéroports.

Abaisser les charges associées aux billets d'avions est aussi une façon politically correct d'aider les transporteurs canadiens, puisque cela ne contrevient pas aux règles internationales du commerce. C'est surtout une façon beaucoup plus judicieuse d'appuyer Air Canada que d'intervenir directement dans un conflit de travail, soi-disant pour maintenir le transport aérien au pays et protéger une relance économique fragile.

Si le gouvernement Harper tient tant à la vitalité du transport aérien au pays, il n'a qu'à écouter ses propres sénateurs.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca