Dans le cadre de la restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), des préretraités de la société papetière AbitibiBowater avaient déposé une réclamation afin de recevoir la bonification à la retraite que l'entreprise leur avait antérieurement promise pour les inciter à quitter l'entreprise à 55 ans.

Ô malheur! À peine quelques semaines avant de prendre sa préretraite en mai 2009, Jean Bédard, de l'usine Laurentide de Grand-Mère, apprend que la société papetière se place sous la protection de la LACC. Conséquemment, sa bonification à la retraite de 38 558$ ne lui sera pas versée. Elle fera partie des réclamations de l'ensemble des créanciers de la société papetière.

Au moment de la distribution des biens en 2011, Jean Bédard n'a finalement reçu qu'une fraction de la bonification qu'on lui avait initialement offerte, soit 5603$ sur les 38 558$ promis. Cela ne représente que 14,5% de sa réclamation.

Mais Jean Bédard n'est pas au bout de son calvaire avec AbitibiBowater, qui a depuis changé son nom pour Abibow Canada et... Produits forestiers Résolu.

Sur le résidu de bonification de préretraite de 5603$, imaginez-vous que M. Bédard n'a reçu en argent comptant qu'une somme de 238,70$. Le reste (5361$) lui a été versé en actions: il a en effet reçu 203 actions d'AbitibiBowater (ABH). M. Bédard est un néophyte de la Bourse.

Quel est le problème? Lorsque les 203 actions lui ont été distribuées, en avril 2011, elles valaient 26,40$ à la Bourse de Toronto.

La Bourse étant ce qu'elle est, les actions d'AbitibiBowater (le nom en Bourse n'a pas changé) se négocient aujourd'hui à seulement 13,50$. Ainsi M. Bédard se retrouve actuellement avec des actions qui ne valent plus que 2740$ sur le marché.

Malheureusement pour M. Bédard, il y a pire encore. Il n'est vraiment pas rendu au bout de ses peines.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il a ouvert l'enveloppe que la société papetière lui a fait parvenir au début de mars dernier. Dans cette enveloppe, il y avait un T4 «État de la rémunération payée» de Revenu Canada et un Relevé 1 «Revenus d'emplois et revenus divers» de Revenu Québec. Sur les deux feuillets, on indiquait à M. Bédard qu'il avait gagné en 2011 un revenu d'emploi de 5603,75$.

Qui dit «revenu d'emploi», dit évidemment revenu pleinement imposable. Ainsi, étant donné son revenu imposable, M. Bédard doit payer environ 2000$ d'impôts (1000$ à chacun) sur le fameux résidu de bonification de retraite qu'il a obtenu à la suite du règlement avec les créanciers d'AbitibiBowater.

On résume le portrait: alors que les actions valent à peine 2740$, M. Bédard doit verser au fisc 2000$ d'impôts.

Net dans les poches, il en sera quitte pour se contenter finalement d'un montant de bonification de retraite inférieur à 1000$. On est loin de l'offre initiale des 38 000$ et même du dédommagement offert de 5603$

J'ai demandé à Revenu Canada s'il était normal de traiter le paiement en actions d'AbitibiBowater comme du revenu d'emploi, par suite de la restructuration financière de la société papetière selon la LACC.

Réponse: «Les actions reçues de la société constituent en effet un avantage imposable pour les employés bénéficiaires en vertu de l'alinéa 6 (1) a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (LIR). Le montant qui doit être inclus au T4 de ces employés en 2011 (l'année de la réception des actions) est égal à la juste valeur marchande des actions à ce moment-là, c'est-à-dire au moment où la compagnie a distribué les actions.»

Maintenant, qu'arrive-t-il si M. Bédard vend ses 203 actions à perte? Réponse de Revenu Canada: il en sera quitte pour réclamer une perte en capital.

Mais pour réclamer une perte en capital, encore faut-il avoir réalisé des gains en capital ou être susceptible d'en réaliser un de ces jours. Ce qui n'est pas le cas de M. Bédard. Il lui faudra attendre de mourir pour réclamer ladite perte en capital à l'encontre de ses revenus!

Comme le mentionne Louis Petit, fiscaliste à la firme comptable Guindon Chabot, M. Bédard se trouve dans une situation complètement aberrante. Ce n'était vraiment pas une bonne idée de payer la réclamation des préretraités d'AbitibiBowater avec des actions.

Louis Petit conseille à M. Bédard et à ses ex-collègues aux prises avec le même problème fiscal de s'opposer aux avis de cotisation portant sur ce controversé «revenu d'emploi» en actions.

Peut-être que les ministres responsables de Revenu Québec (Raymond Bachand) et de Revenu Canada (Gail Shea) vont avoir un brin de compassion pour ces préretraités d'AbitibiBowater.

Payer de l'impôt sur des sommes que vous ne recevez pas, il me semble que le gros bon sens devrait prévaloir!