Le rendez-vous avait été fixé à 8h30 dans un restaurant de la rue Saint-Denis. Le ciel sombre n'arrêtait pas de déverser son trop-plein de misère sur les passants qui, parapluie à la main, marchaient d'un pas pressé. À mes yeux, cela collait tout à fait à l'humeur de la ville.        

Depuis le début de l'année, les mauvaises nouvelles s'abattent sur Montréal avec la régularité d'un métronome. Il y a eu cette série noire en pharmaceutique. Johnson & Johnson, Sanofi et Astra Zeneca ont tour à tour fermé des laboratoires et remercié des chercheurs. Au total, ce sont 360 postes hautement spécialisés qui se sont envolés.

Il y a eu la fermeture annoncée de Mabe, cette usine d'électroménagers de l'est de Montréal qui emploie 740 ouvriers et cadres.

Et il y a cette grande déception dans le secteur aéronautique, qui se remet à peine de deux années de misère. Bell Helicopter Textron a choisi de faire assembler son dernier hélicoptère commercial au Texas plutôt qu'à son usine de Mirabel, pourtant spécialisée dans les appareils civils. Par une belle injustice, la filiale canadienne a échappé ce contrat qui aurait assuré sa pérennité pour une décennie parce que les usines militaires de Bell Helicopter à Amarillo tournent au ralenti.

Peut-être qu'il s'agit d'anecdotes. Peut-être qu'à travers la loupe des médias, ces revers ont pris une importance démesurée. Mais je n'arrive pas à chasser mon blues de la métropole.

J'ai fait appel à Michel Leblanc comme un patient cherche à se faire rassurer par son médecin. Est-ce si grave? Est-ce que je m'inquiète pour rien?

Le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain m'a offert une consultation à quelques heures d'un vol pour Denver. Son diagnostic détonne.

«Je crois profondément que l'économie de Montréal se renforce, dit-il. Même si chaque individu te parle de ses problèmes, dans l'agrégat, il y a de l'investissement à Montréal comme on n'a pas vu dans les années 1990 et 2000».

Michel Leblanc observe le nombre de grues dans le ciel. Et ce ne sont pas que des investissements publics associés à la construction d'hôpitaux universitaires. Il cite en exemple le projet Altoria, une tour de 35 étages au square Victoria. Le vaste complexe immobilier que le promoteur Cadillac Fairview construit autour du Centre Bell - même si la tour de l'Avenue des Canadiens sera moins haute que prévue. La construction d'un grand immeuble sur l'emplacement de l'ancien Spectrum par le Fonds de Solidarité FTQ et Canderel, promoteur qui projette une autre tour au square Phillips.

«Ce sont des entreprises du secteur privé qui bâtissent des tours commerciales dans une période où, partout ailleurs en Occident, l'accès au capital s'est tari et les projets se raréfient.»

La créativité commerciale de Montréal épate aussi Michel Leblanc. De l'agence de publicité Sid Lee au spécialiste du multimédia Moment Factory en passant par le Cirque du Soleil. «Des villes créatives, il y en a partout au monde. Mais, des villes qui font de l'argent avec la créativité, il n'y en a pas tant que cela.»

Le président de la Chambre de commerce est aussi convaincu que Montréal profitera du Plan Nord, même si son plaidoyer pour une ville de ressources naturelles est accueilli avec froideur par ceux qui y voient un retour à la «vieille économie». Des villes comme Toronto et Londres vivent richement des services à l'industrie minière. «On serait fous de s'en priver!»

Michel Leblanc se défend toutefois d'être jovial. Le vieillissement de la population n'autorise aucune complaisance envers le décrochage scolaire et le manque de volonté d'intégrer les immigrants qualifiés. «On gaspille tellement de talents», se désole-t-il.

Par ailleurs, devant les difficultés du secteur pharmaceutique, Michel Leblanc juge que le Québec doit revoir sa politique industrielle qui encourage les fabricants de médicaments d'origine en échange d'emplois en recherche. «Le Québec devrait peut-être concentrer son aide sur les sociétés qui font vraiment de la recherche plutôt que de récompenser tout le monde.»

La désillusion dans la biotech est aussi grande. Développer une molécule est un sport extrême qui exige des investissements majeurs tout en étant archi-risqué. «Le succès de Biochem Pharma nous a peut-être donné l'impression que ce serait facile à rééditer. Mais la réalité des sciences de la vie est très difficile», dit Michel Leblanc. Pour une Enobia, vendue 610 millions de dollars à la fin de 2011, combien d'échecs?

À ses yeux, l'exemple de Theratechnologies est troublant. Même si cette PME a fait approuver son médicament-vedette par les autorités américaines, un exploit, elle peine encore à se financer. «Si, après avoir traversé toutes les étapes, cela ne rapporte pas plus que cela, c'est vraiment décourageant.»

«Le Québec a-t-il les moyens de rester dans cette industrie?» demande Michel Leblanc. Chose certaine, Montréal ne pourra plus tout embrasser et devra choisir des créneaux porteurs, comme les appareils médicaux ou la médecine personnalisée qui repose sur la génétique.

Autre vulnérabilité de Montréal: son secteur manufacturier. Les entreprises qui se sont adaptées à la Chine et aux autres pays à faibles coûts sont performantes. Le problème est ailleurs. Avec un dollar canadien à parité avec le billet vert, certaines pourraient écouter le chant des sirènes.

Dans un congrès aux États-Unis, Michel Leblanc se souvient d'avoir assisté à un atelier animé par des spécialistes en localisation d'entreprises. Aux démarcheurs américains qui tentaient de séduire des entreprises chinoises, ces spécialistes recommandaient plutôt d'aller courtiser les entreprises canadiennes voisines!

«On a fait la même chose pendant 40 ans, soupire Michel Leblanc. Maintenant que le dollar est à parité, tous les Montréal International des États-Unis vont venir cajoler les entreprises qui ont des activités ici.»

Après Electrolux et Mabe, à qui le tour?

La conversation s'est terminée là-dessus. Aussi, même si Michel Leblanc sait se montrer très persuasif, je ne me sentais pas complètement guérie.