C'est le monde à l'envers. Du maïs et du blé poussent sur des terres que les promoteurs immobiliers convoitaient, il n'y a pas si longtemps, pour y ériger des centres commerciaux ou des condos.

Des champs, que des constructeurs ont achetés à prix d'or au début des années 2000 pour spéculer sur l'immobilier, sont aujourd'hui rachetés au rabais par des agriculteurs qui augmentent leur surface cultivable...

Aux États-Unis et en Irlande, la bulle immobilière, qui a éclaté il y a quatre ans pour se transformer en grave crise financière, a fait place à un boom agricole.

L'Irlande, qui tente encore de se relever après l'effondrement de ses banques il y a près de trois ans, montre aujourd'hui des signes vitaux encourageants grâce, en bonne partie, à la santé retrouvée de ses fermes.

Le secteur agricole - une affaire de 6 milliards d'euros par an - est devenu une source vitale de fonds pour l'Irlande, car 80% de la production de ses fermes est exportée.

La flambée mondiale des prix des aliments a tout changé. Des fermes irlandaises, au bord de la faillite il y a cinq ans, ont augmenté du tiers leurs profits l'an dernier, après un bond de 27% en 2010, selon des données publiques compilées par le Financial Times.

Si bien que de jeunes gens, qui avaient quitté la ferme familiale il y a cinq ou six ans pour travailler dans la construction dans les villes, ont troqué le marteau pour la faux.

Les écoles d'agriculture sont pleines à craquer, rapportent des médias irlandais. Selon Teagasc, une agence gouvernementale, le nombre d'étudiants en agriculture a doublé en cinq ans. Il faut même refuser des étudiants faute de professeurs et d'espace.

Rappelons que la construction en Irlande, qui embauchait 272 000 travailleurs au pic du boom immobilier en 2007, a vu les effectifs fondre de 60% depuis, obligeant des milliers de jeunes gens à chercher une solution de rechange. Pour plusieurs d'entre eux, la solution est dans les prés.

»L'or vert»

Aux États-Unis, le boom agricole peut être résumé par deux statistiques: tandis que le prix des terrains à construire a chuté en moyenne de 70% depuis le sommet de 2006, la valeur des terres cultivables, elle, a augmenté de près de 20% depuis 2007.

D'où l'expression «l'or vert» que des économistes accolent de plus en plus aux propriétés agricoles.

Alors que des citadins sont ruinés par l'effondrement immobilier, voilà certains agriculteurs américains transformés en spéculateurs.

Par exemple, des producteurs de céréales de l'Arizona racontent, dans un récent article du Wall Street Journal, comment ils ont racheté des terres vendues cinq fois plus cher à des promoteurs immobiliers cinq ans plus tôt. Au lieu de condos, on y fait pousser du foin pour nourrir les bêtes.

Une nouvelle étude de la Réserve fédérale de Kansas City (RFKC) confirme le phénomène: la valeur des fermes américaines a triplé en moyenne depuis 1990 en termes réels, donc en tenant compte de l'inflation, pour atteindre près de 2000$US l'acre (dollars constants de 2005).

Et les fermiers s'en portent mieux: les prix moyens obtenus pour les produits de la récolte et de l'élevage ont grimpé de 35% et 17% depuis un an. Si bien que les revenus nets de la ferme ont grimpé de 30% en 2011, après une hausse similaire l'année précédente.

La «Renaissance agricole» a des échos sur l'ensemble de l'économie, le Midwest affichant les taux de chômage les plus bas au pays. Même à Wall Street, les actions des Caterpillar et (John) Deere&Co. - deux fabricants d'équipements lourds - surfent sur des sommets dans la foulée de leurs profits records.

Certes, le monde agricole a connu bien des hauts et des bas depuis un siècle. Les caprices de Mère Nature ou la hausse des coûts d'exploitation (carburant, engrais, etc.) peuvent en effet ruiner une ferme en un rien de temps.

Toutefois, la RFKC croit que c'est sérieux cette fois et que le monde agricole entre dans une «ère dorée» (golden era).

La forte demande (la population mondiale vient de franchir le seuil des sept milliards), les capacités de production à la limite, les bas taux d'intérêt et, surtout, les investissements massifs en équipements vont soutenir le milieu pour un bon bout de temps, croit la banque centrale régionale.

De quoi couper l'appétit des constructeurs de condos.