Les fanas de hockey digèrent mal la nouvelle, même si les rumeurs sur le rachat de la société mère des Maple Leafs de Toronto par BCE et Rogers Communications courent depuis des semaines.

À l'évidence, le grand patron de BCE, George Cope, ne susurrera pas des échanges de trios à l'oreille de Jacques Martin et de Ron Wilson derrière le banc des joueurs. Mais qu'un actionnaire du Canadien de Montréal puisse devenir copropriétaire des Leafs dérange. Même si sa participation est inférieure à 20%.

Ces deux équipes rivalisent pour une place en séries dans l'Association de l'Est, inutile de le rappeler. Et les Leafs se trouvent confortablement devant le Canadien après un bon début de saison.

Dans l'industrie des télécoms, en revanche, il est encore plus renversant de voir BCE et Rogers jouer dans la même équipe. Même si ces deux entreprises ont déjà collaboré pour télédiffuser les Jeux olympiques de Vancouver, cette transaction de 1,32 milliard de dollars est d'un tout autre ordre. Le rachat de la participation de 80% de la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario, Teachers', dans Maple Leaf Sports & Entertainment (MLSE) est la plus grande transaction de l'histoire du sport professionnel au Canada.

Bell Canada et Rogers se concurrencent avec autant de férocité sur le marché ontarien que Bell et Vidéotron au Québec. Et cette rivalité était manifeste hier matin en conférence de presse. Nadir Mohamed, président de Rogers, n'a pas raté une occasion de narguer son voisin George Cope. Il a vanté la rapidité de son réseau de télécommunications. Il a proclamé que son réseau Sportsnet supplanterait TSN et RDS, les diffuseurs de sports de BCE. Coup pour coup, George Cope lui a rendu la politesse.

Pourquoi pactiser avec l'ennemi? Dans une industrie où les frontières entre les plateformes technologiques sont de plus en plus floues, le contenu exclusif représente l'une des rares façons de se démarquer pour les fournisseurs de services. Surtout que les amateurs de sport sont fidèles au poste, comme on dit, que leur équipe perde ou gagne.

Bien sûr, Bell et Rogers rivaliseront à armes égales. Les abonnés des deux entreprises pourront regarder des matchs sur leur téléphone intelligent, leur tablette ou leur portable grâce au «streaming» ou diffusion en flux. Mais ils ont l'assurance que ce contenu ne tombera pas aux mains d'un fonds américain ou d'un concurrent comme Quebecor, présent en Ontario par sa filiale Sun.

Acheter en tandem permet aussi de diviser une facture salée. Les équipes de hockey n'ont jamais valu autant, selon la revue Forbes, grâce à de nouvelles ententes de commandites, à une hausse des droits de diffusion et à une fréquentation accrue des sites internet associés à la Ligue nationale de hockey (LNH).

Les Leafs, le joyau de MLSE, est l'équipe la plus chère de la Ligue. Elle vaut 521 millions US, selon le palmarès de cette revue américaine. Ainsi, Rogers et BCE ont payé entre 17 et 18 fois les profits d'exploitation de MLSE dans cette transaction qui accorde une valeur globale de 1,86 milliard au groupe, selon les analyses d'UBS et de la Financière Banque Nationale.

C'est d'ailleurs un grand coup de fric pour Teachers'. Cette caisse de retraite avait acquis le contrôle des Leafs en 1994 pour 102 millions de dollars, alors que le dollar canadien se trouvait en fond de cale et qu'il n'existait aucun plafond salarial. Même si Teachers' a réinvesti dans l'entreprise, notamment pour racheter la participation de 13% de TD Capital en mai, elle s'est assurée d'une jolie plus-value. (Jane Rowe, première vice-présidente de Teachers', a refusé de la chiffrer, hier.)

Ce partenariat permet aussi de diffuser les critiques des Torontois qui redoutaient que toutes leurs équipes de sport professionnel tombent aux mains de Rogers, à l'exception des Argonauts. Ce câblodistributeur est déjà propriétaire des Blues Jays. Outre les Leafs, MLSE chapeaute l'équipe de basket des Raptors, le club-école des Leafs et l'équipe de soccer Toronto FC.

Le Bureau de la concurrence n'est jamais intervenu pour bloquer la vente d'équipes sportives dans le passé. Mais il n'est pas dit qu'il n'aurait pas regardé d'un oeil critique cette transaction. La commissaire à la Concurrence, Melanie Aitken, s'est récemment fait remarquer par ses interventions musclées.

Il reste à voir si cette alliance entre deux ennemis jurés survivra au test du temps. Les Jeux olympiques, que George Cope et Nadir Mohamed ont donnés en exemple, ne durent que deux semaines. Il est plus facile de passer l'éponge sur les tiraillements pour un événement unique. Dans une alliance à long terme, c'est une tout autre histoire.

Le grand test viendra lorsque la LNH tiendra les enchères sur les droits de télédiffusion des matchs des Leafs. Ces droits, actuellement détenus par CBC, le pendant anglais de Radio-Canada, expireront en 2014. Et Bell et Rogers pourraient soumissionner.

Propriétaire du solde de 25% dans MLSE, Larry Tanenbaum n'aura d'autre choix que d'enfiler son gilet noir rayé blanc et de jouer les arbitres entre ces fiers-à-bras des télécoms.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca