Il n'y a jamais rien de simple dans la relation que la Caisse de dépôt et placement entretient avec l'économie du Québec. Voilà bien 40 ans que les Québécois se disputent entre le trop et le pas assez.

Cependant, les pressions qui s'exercent sur l'équipe de Michael Sabia ont rarement été aussi fortes. Il y a eu la perte de plusieurs sièges sociaux. Et la montée de François Legault, qui a fait d'une Caisse plus interventionniste la priorité de la nouvelle Coalition Avenir Québec.

À toutes ces pressions, le grand patron de Caisse oppose la philosophie d'investissement qu'il a adoptée dès le début de son mandat.

Michael Sabia ne tient pas tant à investir plus au Québec qu'à «accompagner» les entreprises du Québec à l'étranger.

Cela ne créera pas nécessairement des jobs en usine ici (Kruger, Cascades). Mais cela fera vivre les professionnels qui gravitent autour de ces entreprises. Et cela enrichira les actionnaires de ces sociétés, dont certains vivent au Québec.

Comment accompagner les entreprises du Québec? La Caisse de dépôt ne se débrouille pas si mal que cela avec ses propres relations à l'étranger. C'est ainsi, affirme-t-elle, que le groupe GLV a pu mettre la main sur une entreprise autrichienne de traitement et de désalinisation de l'eau en 2009.

Mais la Caisse a jugé bon de s'adjoindre des partenaires: le fonds d'investissement privé AXA Private Equity et la banque HSBC Canada. Quand le Journal de Montréal a demandé à Michael Sabia de donner des exemples concrets de l'aide apportée aux entreprises québécoises, ces partenariats sont les deux premières choses qui lui sont venues à l'esprit.

À ce jour, toutefois, ces partenariats n'ont rien donné de concret. En fait, AXA Private Equity s'est fait remarquer dans un seul dossier au Québec. Depuis que ce fonds a pris le contrôle du Groupe Unipex, le siège décisionnel de cette entreprise a déménagé en douce de Sainte-Foy à Paris!

L'histoire vaut la peine d'être contée.

Avec 165 employés, Unipex est méconnue, même si les clients de ce fabricant d'ingrédients actifs pour cosmétiques sont aussi célèbres que Chanel. Il s'agit d'une ancienne filiale d'Atrium Innovations. Ses revenus s'élevaient à 220 millions US en 2007, à sa dernière année comme entreprise à capital ouvert.

Après avoir revu son plan d'affaires en 2008, Atrium avait décidé de se départir de ses ingrédients actifs pour cosmétiques pour se concentrer sur les produits de santé naturels scientifiquement éprouvés.

Les dirigeants de cette division s'étaient associés à AXA Equity Partners pour racheter l'entreprise. Cette filiale d'AXA Investment Managers, le gestionnaire de capital de l'assureur français AXA, se targue de gérer 28 milliards US en actif, soit directement, soit pour le compte de grands investisseurs comme la Caisse de dépôt, un vieux partenaire.

Cette transaction de 166 millions de dollars s'est conclue en mai 2008.

AXA Private Equity a hérité de 65% des actions. Le management a conservé 35% de cette société qui prend le nom Unipex, celui d'un distributeur qu'Atrium a acquis sept ans plus tôt.

Le communiqué de presse précise que «le siège opérationnel du Groupe Unipex demeurera en place à Québec, sous la direction de Monsieur Charles Boulanger».

Cofondateur et administrateur d'Atrium, Éric Dupont se souvient d'avoir insisté auprès d'AXA pour maintenir le centre de décisions du groupe à Québec au moyen d'une clause d'une durée de trois ans. Aujourd'hui, il assimile cette initiative à des «voeux pieux».

«Cela ne plaisait pas à AXA, mais j'essayais de protéger le management, un noyau de personnes de grande compétence.»

Éric Dupont espérait que cette période permettrait aux dirigeants québécois de démontrer leur savoir-faire, afin de maintenir le centre décisionnel de l'entreprise au Québec à plus long terme.

«Force est de constater que cela n'a pas fonctionné», dit-il.

En mars, AXA Equity Partners a remplacé Charles Boulanger par Patrice Barthelmes, un dirigeant de confiance à qui il avait déjà cédé la présidence du groupe français Eliokem. Aucune raison n'a été donnée.

Père de trois enfants, Patrice Barthelmes ne s'est pas établi à Québec. Il travaille à Paris. Aussi, les firmes qui traitent avec Unipex gravitent de plus en plus autour des bureaux du quartier de La Défense.

Que le coeur d'Unipex se soit déplacé à Paris ne représente pas, en soi, une si grande surprise. Aux dernières nouvelles, Unipex réalisait 55% de son chiffre d'affaires en Europe, le solde en Amérique du Nord.

Ce qui étonne, c'est que la Caisse se soit associée à un fonds d'investissement privé dans le but de développer l'économie du Québec.

À la base, les missions de la Caisse et d'AXA Private Equity sont incompatibles. Sans états d'âme, les fonds d'investissement privés veulent empocher un maximum de profits en un minimum de temps.

À peu de choses près, ils ont le même modus operandi. Racheter des entreprises en les endettant, les rendre plus sexy, puis les revendre à profit dans un horizon de trois à cinq ans, par une entrée en Bourse ou par une vente.

Parfois, les intérêts des PME du Québec et des sociétés qui font partie de l'écurie AXA pourraient coïncider. Mais parfois, non.

Veut-on vraiment présenter nos dirigeants à de tels prédateurs et à leurs relations, des fonds d'investissement qui se retireront à la première occasion, peu importe les conséquences?

Ces fonds n'ont que faire du développement économique. Ce n'est pas AXA qui va développer la «Vallée des cosmétiques» que les gens d'affaires du Québec espéraient construire autour d'Unipex sur le modèle de la «Cosmetic Valley» de la région de Chartres, en France.

Et la même chose vaut pour la Banque HSBC Canada. D'autant plus que l'institution financière se retire actuellement de plusieurs marchés du Canada!

Voilà plus de deux ans que la Caisse de dépôt s'est associée à AXA pour accompagner les PME du Québec à l'international. Aucun projet n'a encore abouti. Une quarantaine de projets de maillage ont été identifiés, fait valoir son porte-parole Maxime Chagnon.

«Le but, ce n'est pas nécessairement d'avoir des résultats à court terme, explique-t-il. Les rencontres permettent de tester des choses, mais cela ne marche pas toujours.»

Personne ne peut être contre le maillage, de la même façon que personne n'est contre la tarte aux pommes. Mais si l'on cherche à développer l'économie du Québec, il existe assurément des chemins plus directs.