Les audiences de l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur la vente du premier groupe boursier au pays étaient publiques. Quiconque passait par le Palais des congrès aurait pu aller s'asseoir dans la pénombre de la salle 511, où des verres d'eau s'empoussiéraient sur de longues tables, face à des chaises vides.

Il y avait moins d'observateurs à ces audiences que de quidams qui faisaient la queue devant le Tim Hortons au rez-de-chaussée.

C'était prévisible. Personne ne descendra dans la rue, pancarte à la main, pour que Montréal soit consacré comme centre d'excellence des produits dérivés. Ce qui ne signifie pas que cet enjeu soit trivial, au contraire.

La négociation de produits dérivés, c'est l'un des derniers domaines où la métropole se démarque, dans l'industrie financière. Et son maintien est l'une des grandes préoccupations de l'AMF, qui a droit de vie ou de mort sur la vente du Groupe TMX au consortium Maple, une transaction 3,8 milliards de dollars.

Cette expertise n'est pas le fruit du hasard. Elle découle de la spécialisation des bourses canadiennes. En vertu d'une entente conclue en 1999, la Bourse de Montréal a cédé à la Bourse de Toronto la négociation des actions en échange de l'exclusivité sur la négociation de produits dérivés. Cette entente devait expirer en 2009, mais l'achat de la Bourse de Montréal par la Bourse de Toronto, en 2008, a préservé le statu quo dans le nouveau TMX.

Que se passera-t-il si le consortium Maple prend le contrôle du Groupe TMX? Surtout, qu'arrivera-t-il si Maple conclut une transaction subséquente avec un groupe boursier étranger?

Ce sont ces questions qui tourmentent les Québécois, de Michel Leblanc, président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain, à Jacques Parizeau, administrateur du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires du Québec.

Remarquez, aucun ne s'oppose carrément à la vente du TMX à Maple, un consortium qui réunit des têtes d'affiche de Québec inc.: Caisse de dépôt et placement du Québec, Banque Nationale du Canada, Mouvement Desjardins, Fonds de Solidarité FTQ. Mais ils exigent que le Groupe Maple aille plus loin dans ses engagements, pour s'assurer que la Bourse de Montréal conserve son «esprit d'initiative», pour citer Jacques Parizeau.

Par exemple, il faut que la Bourse de Montréal continue de piloter BOX, la bourse automatisée d'options sur actions de Boston. Et non que BOX soit administrée depuis Toronto. «Sinon, (la Bourse de Montréal) devient une coquille vide avec un groupe de gens qui suivent les directives de Toronto», a dit cet ex-premier ministre.

Le chef de la direction de Maple, Luc Bertrand, a répété sur tous les tons que le développement des produits dérivés passera par Montréal. «On ne peut pas être plus ferme que cela. C'est à Montréal qu'on va développer les produits dérivés», a-t-il martelé jeudi.

Pressé par le PDG de l'AMF, Mario Albert, de coucher par écrit ce qu'il dit tout haut, il n'a pu réprimer une pointe d'agacement. «On pourrait écrire des documents à l'infini sur des engagements, mais le plus important, c'est l'appui de la communauté. Or, les joueurs les plus importants à Montréal sont dans Maple», a dit Luc Bertrand, par ailleurs vice-président du conseil de la Nationale.

«Le fait que des institutions québécoises se retrouvent dans Maple n'y change rien», a rétorqué Jacques Parizeau.

«Nous voulons des engagements plus clairs sur le développement des activités et des opérations, et pas seulement une reconnaissance de l'expertise qui existe déjà à Montréal», a insisté Michel Leblanc.

Si les autorités réglementaires approuvent le rachat du Groupe TMX par Maple, la répartition des tâches fera rapidement l'objet d'un souque-à-la-corde entre Toronto et Montréal.

Pour illustrer les avantages de cette transaction, Luc Bertrand a vanté les mérites du projet d'intégrer les systèmes servant à compenser les transactions d'actions et de produits dérivés en une seule plateforme. «On va travailler pour mettre cela sur un système, sur un écran, pour aider les participants à gérer leurs risques et à réduire leurs coûts», a-t-il dit.

Coupe-feu du système financier, les chambres de compensation s'interposent entre les acheteurs et les vendeurs de produits financiers. Elles minimisent les risques qu'un acteur subisse une perte lorsque l'entité avec laquelle il fait des transactions est incapable d'honorer ses obligations.

Actuellement, c'est la chambre de compensation CDCC, filiale de la Bourse de Montréal, qui sert de contrepartie dans les produits dérivés. Pour sa part, CDS, cette chambre de compensation de Toronto que Maple projette d'acquérir, sert d'intermédiaire dans les transactions sur actions.

Qui fera quoi? «Indéniablement, il y a des éléments très forts à Montréal pour développer ce nouveau système, a dit Luc Bertrand. Mais je ne peux pas vous dire comment cela va se faire.»

C'est ce genre de flou qui crée un malaise. Inquiétude qui n'a pas été dissipée lors des audiences d'hier et de jeudi.

Les garanties écrites ne règlent pas tout. Elles n'ont pas empêché U.S. Steel de licencier 2400 employés de Stelco en 2008. Et cela, même si cet aciériste américain s'était engagé auprès d'Ottawa à maintenir sa production comme condition à l'approbation de l'achat de Stelco, en 2007.

Le ministre Tony Clement a traduit U.S. Steel devant les tribunaux. Et Stelco devra payer des dizaines de millions de dollars en amendes après avoir épuisé ses recours - la Cour suprême du Canada ayant refusé d'entendre sa cause cette semaine.

Les garanties incitent les entreprises à réfléchir avant de prendre des décisions aux conséquences irréversibles.

Personne ne doute de la bonne foi de Luc Bertrand et de ses associés. Mais ces interlocuteurs ne sont pas éternels. Aussi, si Maple n'est pas prêt à s'engager par écrit, l'AMF devrait l'exiger avant de donner son feu vert.

Sinon, personne ne pourra chasser cette impression qu'à la première transaction venue, les dérivés partiront à la dérive.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca