La Caisse de dépôt et placement du Québec s'est mis les pieds dans le plat. Encore.

En écrivant ces mots, j'ai la détestable impression de défoncer une porte ouverte. C'est tellement évident! Et pourtant quelqu'un dans l'organisation de la Caisse a laissé une situation aberrante pourrir. Au point où des professionnels de l'institution ont dû porter plainte auprès de l'Office de la langue française pour se faire entendre.

Récapitulons les faits. Deux dirigeants de la filiale immobilière de la Caisse, Ivanhoé Cambridge, sont en somme unilingues anglais. Le chef d'exploitation, Kim McInnes, et le premier vice-président, ressources humaines, David Smith.

Dans les circonstances, il est impossible, pour leurs subalternes ou pour toute personne qui doit traiter avec eux, de discuter en français. Ils doivent forcément passer à l'anglais, comme cela se voit trop souvent dans la finance montréalaise. À moins d'échanger par l'entremise d'un subalterne bilingue, avec tous les risques associés à ce téléphone arabe.

Légalement, cette filiale de la Caisse n'est pas considérée comme une administration publique, où la connaissance du français est une condition d'embauche.

Mais, aux yeux de tous les Québécois, Ivanhoé Cambridge est une extension directe de l'institution financière créée en 1965 par Jean Lesage pour que les Québécois reprennent les commandes de leur économie. Ainsi, tout ce qui touche la Caisse tombe dans l'oeil du public, en dépit de toutes les tentatives (véritables ou feintes) pour dépolitiser cette société.

De plus, la Charte de la langue française oblige toutes les entreprises au Québec à respecter le droit fondamental des travailleurs de bosser en français.

Il n'y a strictement rien de mal à embaucher un dirigeant de l'extérieur du Québec en raison de son expertise pointue et reconnue. C'est même souhaitable que la Caisse recrute les meilleurs, d'où qu'ils viennent. Il en va de la retraite de millions de Québécois, dont tous les retraités du secteur public.

Mais il faut que ces dirigeants se mettent au français comme Kim McInnes l'a fait peu après son embauche, l'été dernier. Le contraire, soit un Québécois qui apprendrait l'anglais pour décrocher un poste à Toronto ou à New York, irait d'ailleurs de soi.

Ce qui est incompréhensible, c'est que la personne ultimement responsable de l'embauche et du personnel chez Ivanhoé ait une maîtrise du français approximative, 11 ans après son arrivée à Montréal. Ce poste exige le bilinguisme, point à la ligne.

À la fin, toutefois, il ne s'agit que d'un cas. Mais cette histoire révélée par La Presse tombe on ne peut plus mal.

D'une part, elle renforce les préjugés aussi infondés que tenaces à l'endroit du grand patron de la Caisse, Michael Sabia. Né et élevé en Ontario, cet Italien d'origine (son grand-père a immigré à Montréal, sans le sou) a choisi de travailler et d'élever sa fille dans la métropole, sa ville d'adoption.

De l'autre, elle survient au moment où la nouvelle Coalition avenir Québec remet en question l'attachement de la Caisse au Québec, ses investissements ici étant qualifiés d'insuffisants. Lancé lundi, ce nouveau parti compte forcer la Caisse à investir davantage au Québec.

Des 20 «actions pour agir» identifiées par ce nouveau parti, il s'agit de l'engagement #11. Mais ce numéro est trompeur. En entrevue avec Catherine Perrin sur les ondes de Radio-Canada, hier, le chef de la Coalition, François Legault, a indiqué qu'il donnerait un coup de barre à la Caisse dans les 100 premiers jours de son mandat.

«La Caisse de dépôt et placement doit contribuer de manière éclairée à ce que l'économie du Québec en soit une de propriétaires et non de succursales», est-il écrit dans le plan d'action de la Coalition.

Le coeur est à la bonne place, comme on dit. Les sièges sociaux jouent un rôle crucial dans la vitalité économique et culturelle du Québec.

Il reste à voir le comment. De Provigo à Vidéotron, la Caisse a un lourd passé d'interventions ratées au nom du nationalisme.

On aimerait tous que la Caisse soit un actionnaire plus important de la Banque Nationale, qui pèse moins dans son portefeuille que la Banque Toronto-Dominion, la Banque de Montréal, la Royale et la Banque CIBC (au 31 décembre).

Mais exiger de la Caisse qu'elle détienne des participations d'influence dans la plupart des «champions» du Québec immobiliserait une grande partie de son capital. En plus d'être risquée, cette stratégie pourrait contraindre la Caisse à renoncer à des investissements prometteurs ailleurs. Or, cet argent, c'est celui que les Québécois ont mis de côté pour assurer leurs vieux jours.

Sous la direction de Roland Lescure, chef des placements, la Caisse privilégie actuellement une pondération par industrie plutôt que par région géographique. Cette approche paraît mieux adaptée à une économie mondialisée.

Il faudrait laisser à la nouvelle équipe de gestion de la Caisse le temps de faire ses preuves. Malheureusement, les maladresses de l'institution (appui de la société papetière Kruger à Memphis; patrons unilingues anglais) ne feront qu'attiser l'intérêt des partis de l'opposition qui veulent imprimer une nouvelle philosophie à la Caisse.

Passer sous le radar est une attitude hautement mésestimée.

s Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca