Carl Icahn. À la seule mention de son nom, les entreprises qui dépérissent en Bourse retrouvent des couleurs comme sous l'effet d'un puissant tonifiant.

À la seule mention de son nom, les PDG blêmissent. Ils savent que le fauteuil sur lequel ils étaient confortablement assis pourrait les éjecter d'un jour à l'autre.

Personne ne sait si ce financier américain a véritablement acheté des actions de la société ontarienne Research in Motion. Mais la magie Icahn a encore opéré mardi. Sur la foi de cette rumeur, le titre du fabricant des BlackBerry a sursauté de 8% avant de clôturer sur un gain plus modeste de 3,6%.

Carl Icahn est à la finance ce que Wayne Gretzky a été au hockey, une supervedette qui a su traverser les années. Cet Américain de 75 ans qui a grandi dans le quartier Queens, de New York, a toujours cherché à s'enrichir. C'est d'ailleurs avec ses gains au poker qu'il a payé ses études de philosophie à l'université Princeton!

À cet égard, Carl Icahn a formidablement réussi. La revue Forbes estime sa fortune à 12,5 milliards US, ce qui le place au 61e rang des hommes les plus riches de la planète.

Aux États-Unis, cet homme se passe de présentations. Mais ici, il reste méconnu même s'il a jeté son dévolu sur quelques entreprises canadiennes.

Le mois dernier, il a conclu une trêve avec le producteur de films Lionsgate, de Vancouver. La vente de ses 44 millions d'actions met un terme à une âpre bataille de deux ans devant les tribunaux et les actionnaires. En 2006, Carl Icahn a aussi forcé la vente de la chaîne hôtelière Fairmont à un groupe d'investisseurs piloté par le prince saoudien Al-Walid ben Talal.

Carl Icahn n'est pas le seul investisseur dit activiste à brasser la cage des entreprises en difficulté. Mais alors que certains spéculateurs se concentrent sur certaines industries, ce New-Yorkais voit grand. Aucun secteur n'est trop éloigné de ses expertises. Aucune entreprise n'est trop grosse pour lui ou pour sa firme de 40 analystes et avocats qui travaillent au 47e étage d'un immeuble de la Fifth Avenue dominant Central Park.

Avec des succès variables, Carl Icahn s'en est pris au management d'AOL Time Warner, de Yahoo! et de Blockbuster, entre autres. Sa devise: «Ne jamais laisser voir que vous êtes en train de suer.»

Avec plus de 40 années d'investissements derrière la cravate, Carl Icahn a longtemps été perçu comme un raider. Un homme insensible qui entre au capital d'une société, réclame un siège au conseil d'administration, puis dépèce l'entreprise pour en extraire toute la valeur. Peu importe ce qui adviendra de la carcasse une fois qu'il aura levé les pattes avec ses profits.

C'est ce qui s'est produit chez TWA, ce transporteur américain qu'il a acquis en 1985. Lourdement endetté à la suite de sa privatisation et de son rachat, qui était adossé à ses actifs, ce transporteur a été contraint de licencier du personnel, de couper les salaires, de réduire ses investissements dans son parc d'avions et de vendre ses liaisons les plus rentables.

Mais on sent aujourd'hui que Carl Icahn veut infléchir le jugement de l'Histoire. Dans l'entrevue qu'il a accordée à l'émission américaine 60 Minutes en 2008, Carl Icahn se décrit comme une sorte de Robin des Bois des temps modernes.

C'est lui qui fait ce que les Québécois appellent un «job de bras» dans les entreprises où les conseils complaisants se contentent de résultats médiocres. C'est lui qui traite ouvertement les PDG d'incompétents - et il ne mâche jamais ses mots. C'est lui qui dénonce les rémunérations et les indemnités de départ indécentes.

Et quand il finit par s'enrichir, souligne-t-il, son travail profite à tous les autres actionnaires. Les petits comme les grands.

Ainsi, certains actionnaires de Research in Motion se réjouissent de l'arrivée possible de Carl Icahn. C'est le cas de la firme torontoise Jaguar Financial Corp., qui réclame depuis juin des changements à la direction bicéphale de l'entreprise ontarienne. Mike Lazaridis, le fondateur de RIM, et Jim Balsillie, un gestionnaire et investisseur de la première heure, se partagent la direction de l'entreprise, ce qui est très inhabituel dans le monde des affaires.

Dans une entrevue accordée au journal Globe & Mail, le président de Jaguar, Vic Alboini, affirme que ce tandem exerce une influence démesurée sur le conseil d'administration de RIM. Plus personne n'ose contester leurs décisions, bonnes ou mauvaises.

Il reste à voir si le remontant Icahn est le bon remède pour ce fleuron canadien en difficulté. Lors de son dernier exercice financier, Lionsgate a dépensé plus de 45 millions en frais d'avocats et autres pour repousser l'offre d'achat non sollicitée de Carl Icahn. Pour une entreprise avec un bénéfice d'exploitation (BAIIA) de 68 millions et un chiffre d'affaires de 1,6 milliard de dollars, ce n'est pas rien.

RIM a largement les moyens de se défendre. Mais l'entreprise n'a pas une minute à perdre, alors qu'elle joue son va-tout sur le lancement de sa prochaine génération de téléphones sans fil. Ces appareils qui doivent combler un vide dans la gamme des produits de RIM s'appuient sur le nouveau système d'exploitation QNX.

Le danger, c'est qu'une bataille avec le financier américain déconcentre RIM et l'éloigne de son objectif premier: regagner le terrain perdu dans les télécoms. Or, si l'entreprise ontarienne manque son coup au cours des prochains mois, la tentative de putsch pressentie de Carl Icahn paraîtra bien dérisoire.

sophie.cousineau@lapresse.ca