Au milieu des années 80, cela fait à peine 25 ans, le Canada comptait 900 000 travailleurs autonomes. Ils sont aujourd'hui plus de 2,7 millions (dont plus de 600 000 au Québec), et ils occupent un emploi sur six.

Malgré cette progression impressionnante, la situation financière des travailleurs autonomes est encore très mal connue, en grande partie parce que les sources de données sur le sujet demeurent limitées.

Cette lacune vient d'être comblée par deux chercheurs de la Division de la statistique du travail de Statistique Canada, Sébastien LaRochelle-Côté et Sharanjit Uppal. Les résultats de leurs travaux viennent d'être publiés dans L'emploi et le revenu en perspective, une revue spécialisée de l'agence fédérale de statistique. Les auteurs ont examiné dans quelle mesure les revenus, les dépenses et l'avoir net des autonomes étaient différents de ceux des travailleurs salariés.

Pour la première fois, on dispose ainsi d'un portrait complet - et fort éclairant - de la situation financière des millions de travailleurs autonomes canadiens.

Une première constatation: le revenu annuel médian des ménages des travailleurs autonomes est de 19% inférieur à celui des employés rémunérés.

Cette donnée camoufle beaucoup de choses.

Il faut distinguer deux catégories d'autonomes: ceux qui sont constitués en société, et ceux qui travaillent pour leur propre compte. Les premiers emploient souvent à leur tour des employés salariés, et peuvent être considérés comme des dirigeants d'entreprise. Les deuxièmes, dans leur immense majorité, travaillent seuls: 85% d'entre eux n'ont aucun employé.

Chez les autonomes constitués en société, le revenu médian dépasse de 9% celui des salariés. Chez les autres, il est inférieur de 37%. Autrement dit, si vous démarrez votre propre entreprise constituée en société, vous avez des chances de gagner plus d'argent qu'en restant salarié sur le marché du travail. Mais si vous êtes traducteur, consultant, pigiste, laveur de vitres et que vous travaillez seul sur la route ou dans votre sous-sol à la maison, ça risque d'être le contraire.

Mais le revenu ne dit pas tout. Il faut aussi tenir compte du patrimoine financier, c'est-à-dire de la valeur nette accumulée des travailleurs autonomes. Dans l'ensemble, ceux-ci ont des revenus qui fluctuent beaucoup plus que ceux des salariés: une bonne année par-ci, une moins bonne par-là, une excellente de temps à autre. D'autre part, ils ont rarement accès aux avantages sociaux des salariés (caisse de retraite, assurance médicaments). Pour toutes ces raisons, et aussi parce qu'ils ont accès à des dispositions fiscales inaccessibles aux salariés (plafonds de REER, compte de frais, non-imposition de la première tranche de 750 000$ de gain en capital lors de la vente d'une entreprise), les autonomes ont tendance à accumuler un patrimoine financier beaucoup plus important que les employés rémunérés. Ainsi, le REER moyen du travailleur salarié se situe à 56 000$, contre 94 000$ pour le travailleur autonome.

Au total, la valeur nette médiane (maison, REER et autres actifs financiers, actifs commerciaux) des autonomes atteint 520 000$, contre 195 000$ pour les salariés.

Les auteurs de l'étude retiennent avec raison les valeurs médianes (le chiffre situé au milieu, lorsqu'on divise les travailleurs en deux groupes égaux), parce que les moyennes peuvent être artificiellement poussées vers le haut par un nombre restreint de particuliers très riches.

Autre constatation importante: parce qu'ils ont un patrimoine financier plus important à gérer, et aussi parce qu'ils ne peuvent souvent compter que sur eux-mêmes, les autonomes ont développé des connaissances financières supérieures aux autres. Pour mesurer cela, on a posé 14 questions, certaines assez pointues, destinées à tester les connaissances financières des deux catégories de travailleurs.

Rares sont ceux qui ont eu un score de 14 bonnes réponses, mais le score des autonomes (3,5% de notes parfaites) distance assez nettement le résultat de 2,2% des salariés. Par contre, 38% des autonomes ont répondu correctement à 11 questions au plus, contre 31% chez les employés rémunérés.

Enfin, les autonomes sont plus confiants que les autres à l'égard de leur retraite: 75% d'entre eux ont confiance ou très confiance que leur revenu de retraite sera suffisant pour maintenir leur niveau de vie, contre 69% chez les salariés.

L'étude ne le mentionne pas, mais les autonomes, beaucoup d'entre eux en tout cas, peuvent jouir d'une indépendance unique: ils sont leur propre patron, ils peuvent choisir librement leurs heures de travail, ils ont la liberté d'accepter ou de refuser des contrats. Une récente enquête de la Banque Royale montrait que 32% des Canadiens qui ne sont pas propriétaires d'une entreprise rêvent de devenir leur propre patron. Un sur trois, c'est quand même quelque chose, non?