Pour la concurrence dans le sans-fil, il faudra repasser. Encore.

Le câblodistributeur albertain Shaw Communications a fait volte-face hier, prenant toute l'industrie par surprise. Plus question de déployer un coûteux réseau sans-fil pour faire concurrence à TELUS, à Bell Canada et à Rogers Communications, ces opérateurs qui dominent encore outrageusement le marché de la mobilité au pays.

Et on ne pourra pas reprocher au gouvernement fédéral de n'avoir rien fait pour intensifier la concurrence. Lors de sa grande vente aux enchères de spectre de fréquences de 2008, Industrie Canada avait pipé les dés pour faciliter la venue de nouveaux acteurs comme Shaw et Vidéotron.

Shaw avait d'ailleurs déboursé 190 millions pour obtenir près de 20 mégahertz de spectre sur ses territoires de l'Ouest et du nord de l'Ontario. Licences au sujet desquelles la direction de Shaw est restée évasive, hier, lorsque questionnée sur une revente éventuelle.

Avec ce retrait de Shaw, le contraste entre le Canada et les États-Unis est on ne peut plus saisissant.

Dans le marché américain, qui est nettement plus concurrentiel qu'ici, le gouvernement est intervenu cette semaine pour tenter de bloquer l'achat, par AT&T, de T-Mobile USA, une filiale de Deutsche Telekom qui se démarque par ses forfaits à bas prix. La fusion du numéro 2 et du numéro 4 du sans-fil entraînerait une hausse de tarifs inacceptable, font valoir les procureurs du gouvernement.

Au Canada pendant ce temps, les trois opérateurs établis n'ont pas été ennuyés tant que cela par la concurrence. Surtout que cette concurrence se concentre sur les portables les plus basiques.

Seule consolation pour les consommateurs de l'Ouest, le retrait de Shaw pourrait fortifier les nouveaux acteurs qui tentent de gruger des parts de marché aux opérateurs établis, note Iain Grant, associé fondateur du Seaboard Group, une boîte de consultants en télécoms. Il s'agit de Wind Mobile (exploitée par Globalive) et de Mobilicity (anciennement DAVE).

Mais bon, on s'en reparlera dans cinq ans.

Brad Shawvient d'iune famille de cow-boys. Mais le virage que vient de prendre son entreprise n'a rien d'aventureux. En fait, c'est tout le contraire.

«Je ne crois pas que la rentabilité économique du projet soit suffisante pour justifier les investissements en capitaux requis», a résumé le chef de la direction de Shaw en téléconférence.

Construire un réseau sans-fil de quatrième génération, ou de 4G si vous préférez, dans la région étendue où Shaw est présente (Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Ontario, Saskatchewan) aurait nécessité un investissement de 1 milliard de dollars, au bas mot. En plus, il faudrait mettre sur pied tout un réseau de boutiques, obtenir des modèles de portables intéressants et subventionner la vente des appareils.

Et pour quoi? demande Brad Shaw. Essentiellement, pour protéger son marché contre une percée de TELUS, qui offre des services de télédistribution et qui courtise la clientèle de Shaw.

À la place, Shaw compte tapisser ses marchés métropolitains d'accès internet wi-fi. Ses abonnés résidentiels munis de tablettes et de téléphones intelligents pourront regarder des vidéos ou jouer à des jeux en ligne au café tout à côté de leur bureau d'Edmonton ou de Calgary.

Shaw fait le pari que ses clients lui resteront fidèles plutôt que de payer de coûteux forfaits de trafic de données. Le deuxième câblo du pays, ex aequo avec Vidéotron, dit s'inspirer de la société américaine Cablevision.

Câblodistributeur comptant plus de 3 millions d'abonnés dans les États de New York, du New Jersey et du Connecticut, Cablevision offre un accès wi-fi gratuit à ses abonnés dans l'espoir de repousser des concurrents comme Verizon Communications. Toutefois, ses résultats sont mitigés. Cablevision doit actuellement composer avec des consommateurs à bout de souffle, des promotions rentre-dedans de Verizon et la concurrence de services vidéo en ligne comme Netflix.

De plus, cette stratégie de repli a aussi son prix, bien que nettement moins élevé. Les dirigeants de Shaw ont refusé de chiffrer les investissements qui seront requis pour monter leur réseau wi-fi dans l'Ouest. Iain Grant estime toutefois que cela pourrait coûter de 200 à 300 millions. Ce n'est pas rien pour un service qui n'apporte aucun revenu supplémentaire à première vue.

Si Shaw a préféré jouer de prudence après de nombreux retards dans le lancement de son service, l'entreprise ose aller à l'encontre des idées reçues. À preuve, les critiques de nombreux analystes financiers, qui déplorent l'abandon du modèle « fournisseur de télécoms tout en un» (télé, accès internet, téléphone résidentiel et sans-fil). Car un accès wi-fi, cela ne sert à rien quand on se déplace en voiture...

Surtout que les forfaits de trafic de données sont les services les plus porteurs de l'industrie, avec la popularité grandissante des téléphones intelligents comme les iPhone, BlackBerry et autres appareils s'appuyant sur le système Android de Google.

En téléconférence hier, ces analystes n'en avaient encore que pour les réseaux dits LTE (Long Term Evolution), ces réseaux de dernière génération qui sont les plus rapides pour visionner de la vidéo et télécharger des contenus lourds. Rogers est la première société à déployer son réseau 4G. Bell et TELUS, qui collaborent pour réduire leurs coûts, devraient suivre en 2012.

C'est ce modèle d'affaires que Vidéotron a choisi en investissant très lourdement dans le lancement de son service sans fil, inauguré il y a un an.

Ce sont donc deux visions qui s'affrontent. D'un côté, Shaw qui a tout misé sur les médias en achetant les propriétés télé de CanWest Global Communications et qui a décidé, de bon ou de mauvais gré, de passer son tour dans le sans-fil. De l'autre, Vidéotron qui a claqué une fortune dans cette aventure. Et qui n'arrive pas encore à couvrir ses coûts d'acquisition et son amortissement, même après avoir séduit plus de 200 000 abonnés.

Ici aussi, on s'en reparlera dans cinq ans.