Point n'est besoin de s'étendre sur l'épouvantable cauchemar que vivent les automobilistes montréalais par les temps qui courent. Et on n'a encore rien vu. Comme le rapportait mon collègue Bruno Brisson dans La Presse d'hier, le choc de la rentrée «laisse présager le pire en septembre». Son reportage, qui fait état des dizaines de chantiers en cours ou en préparation dans la région de Montréal, donne des frissons dans le dos. Et c'est sans compter les mesures vexatoires du Plateau, qui auront pour résultat d'encombrer les rues résidentielles des arrondissements voisins. Quel gâchis!

Comme on s'en doute, cette pénible situation a des conséquences graves: les gens sont stressés, ils arrivent au travail épuisées, ils sont de plus insatisfaits dans leurs vies professionnelles ou familiales.

Mais comment mesurer ces conséquences?

La réponse nous est parvenue cette semaine dans Tendances sociales canadiennes, une publication spécialisée de Statistique Canada.

Le chercheur Martin Turcotte, analyste principal à la Division de la statistique sociale de l'agence fédérale, s'est intéressé à la condition des travailleurs «dont les trajets s'éternisent et sont ralentis par la congestion routière», et dont les déplacements sont «synonymes de pertes de temps, de stress et de frustration».

Première constatation, qui n'est pas vraiment surprenante: plus l'agglomération est grande, plus il faut mettre de temps pour se rendre au travail. Ainsi, en moyenne, un travailleur torontois (nous parlons ici de la grande région de Toronto) met 33 minutes pour se rendre au travail, contre 31 minutes à Montréal, 30 à Vancouver, 27 à Ottawa, 23 à Edmonton. Il faut dire que ces chiffres datent de 2010; compte tenu de la multiplication des chantiers en 2011 et de leur bordélique organisation, on peut certainement penser que Montréal, cette année, dépasse largement Toronto au chapitre des bouchons et congestions.

Deuxième constatation: en dépit de l'encombrement des réseaux routiers, l'automobile demeure encore un moyen plus rapide que le transport en commun. Ainsi, ceux qui choisissent leur voiture mettent en moyenne 24 minutes pour se rendre au travail, contre 44 minutes pour ceux qui empruntent les transports en commun. Cela va presque du simple au double. Dans ces conditions, on pourrait certainement penser que cela explique la popularité de l'automobile, congestion ou pas. Ces chiffres doivent être interprétés avec prudence : 24 minutes dans le gros trafic, cela peut être passablement plus stressant que 44 minutes à lire son journal dans le métro.

Mais l'aspect le plus intéressant de l'étude concerne certainement le lien entre le trajet quotidien pour aller au travail et l'équilibre professionnel et familial.

Ainsi, chez les travailleurs qui mettent moins de 15 minutes pour se rendre au travail, seulement 23 % déclarent que leurs journées sont «assez ou extrêmement stressantes». Ce pourcentage bondit à 36 % chez ceux qui doivent se déplacer plus de 45 minutes. Quand on sait que la population active de la région de Montréal frise les 2,2 millions de personnes, on ne peut qu'imaginer ce que ces 13 points de pourcentage peuvent représenter en termes de temps flambé, de pertes de productivité, de stress, sans compter les médicaments et les coûts de santé qui viennent avec.

De la même façon, quand on regarde à quel point les gens sont satisfaits de l'équilibre entre leur vie professionnelle et familiale, les résultats sautent aux yeux. Si la durée des déplacements pour se rendre au travail est inférieure à 15 minutes, 79 % des travailleurs sont satisfaits ou très satisfaits de cet équilibre. Lorsque le trajet prend 45 minutes ou plus, le taux de satisfaction plonge à 65 %.

La recherche établit aussi, de façon limpide, le lien entre la durée du trajet et plusieurs aspects qui touchent directement la qualité de vie des travailleurs. Ainsi, plus le déplacement est long:

- plus les gens ont le sentiment d'être pressés par le temps;

- plus ils sont portés à réduire leurs heures de sommeil;

- plus ils l'ont l'impression de s'enfermer dans la routine;

- moins de temps ils ont de temps libre pour s'amuser;

- plus ils trouvent difficile d'assumer leurs responsabilités domestiques;

- plus ils sont inquiets de ne pas consacrer assez de temps à leur famille.

Et nous ne parlons même pas ici des tonnes de cochonneries que les tuyaux d'échappement envoient dans l'atmosphère à chaque fois qu'il y a bouchon de circulation. Comme projet de société, c'est réussi!