Pendant que les investisseurs étaient étourdis par les girations de la Bourse, la semaine dernière, un changement en apparence mineur, mais aux conséquences potentielles énormes, est survenu sur le marché des changes.

Sans crier gare, le gouvernement chinois a laissé sa monnaie, le yuan, s'apprécier nettement par rapport au dollar américain.

La Banque populaire de Chine a autorisé une hausse d'environ 0,8% durant la semaine - la plus forte augmentation en trois ans; il faut donc 6,4 yuans pour acheter 1 dollar américain, au lieu d'un peu plus de 6,5 quelques jours plus tôt.

Ce rebond peut sembler mineur. Mais cela représente une augmentation de 12%, sur une base annuelle, par rapport au billet vert. Personne ne s'y attendait étant donné que les autorités chinoises tolèrent généralement une appréciation annuelle maximale de 4 à 5% par an.

Des experts ont vite compris la portée du geste. Dans une note financière, la Banque HSBC avance que ce gain laisse croire «que quelque chose a changé» dans le raisonnement des dirigeants chinois. De l'avis de plusieurs cambistes, la tempête sur les marchés financiers a sans doute secoué les Chinois, au point d'obliger le gouvernement à faire des gestes significatifs pour calmer le jeu.

Les pays occidentaux, les États-Unis en tête, supplient depuis des années Pékin de réévaluer plus rapidement sa monnaie, dont la faiblesse relative donne un avantage indu aux exportateurs chinois. Ceux-ci, on le sait, ont fait des ravages dans le paysage industriel de l'Occident, causant des fermetures d'usines et des licenciements à grande échelle.

Selon un récent rapport du Fonds monétaire international (FMI), la monnaie chinoise est «sous-évaluée» de jusqu'à 23% par rapport au niveau où elle devrait être actuellement.

Exports et inflation

Nul ne sait si cette poussée du yuan va durer. Une chose est certaine, la Chine n'a pas l'habitude de faire des cadeaux aux Occidentaux. Elle a au moins deux bonnes raisons de plier ainsi l'échine.

D'une part, le ralentissement de l'économie mondiale, manifeste depuis plusieurs mois, n'a pas encore eu raison du dynamisme commercial de l'empire du Milieu.

En juillet, les exportations chinoises ont été plus robustes qu'attendu, grimpant de 20,4% en rythme annuel. L'excédent commercial est passé à 31,5 milliards US en un mois - son niveau le plus élevé depuis janvier 2009. Sur le plan des échanges commerciaux, la Chine n'a donc pas de raison de maintenir sa devise à un niveau aussi faible.

D'autre part, l'inflation est devenue un problème très préoccupant pour les Chinois. La hausse du coût de la vie a atteint 6,5% en juillet, un sommet en trois ans, incitant les autorités à relever brusquement les taux d'intérêt pour brider les prix.

Dans ce contexte, une hausse accélérée du yuan contribuerait grandement à contenir la hausse du coût des importations, en grande partie composées de matières premières (pétrole et métaux) payées en dollars américains.

3200 milliards US en poche

En réponse aux accusations de Washington et du reste du monde, Pékin a maintes fois répliqué dans le passé qu'il laisserait flotter librement sa monnaie... lorsque cela fera son affaire.

Or, «il semble qu'une nouvelle politique [pour le yuan] est en préparation», a confié vendredi à l'agence Reuters le cambiste en chef d'une grande banque chinoise, laissant croire qu'on s'approche peut-être d'un tournant.

Des changements dans la politique monétaire chinoise sont d'ailleurs inévitables, estiment les experts. Les réserves de change de la Chine, les plus importantes du monde, ont atteint 3197 milliards US fin juin, en hausse de 30% sur un an.

Cette cagnotte colossale est appelée à augmenter régulièrement, tant que la Chine - premier exportateur mondial - continuera d'accumuler des excédents commerciaux.

Or, ces réserves sont telles qu'en pratique, la Banque centrale chinoise a de plus en plus de mal à diversifier ses investissements en devises étrangères dans un monde qui, littéralement, bascule sous le poids des déséquilibres économiques actuels. Faut-il le rappeler: l'Europe est à genoux et les États-Unis au bord d'une autre récession.

C'est l'un des bons côtés de cette tempête financière: elle forcera la Chine à bouger. Car l'«usine du monde» a tout intérêt à garder ses meilleurs clients en bonne santé.