Les pays du G20 ont promis de s'attaquer à la flambée des prix alimentaires. Mais le marché agricole est un animal difficile à dompter.

C'est du jamais vu. Pour la prochaine année, la récolte de maïs aux États-Unis servira surtout à faire rouler les voitures, et non à nourrir les animaux de la ferme.

Les dernières projections de Washington indiquent que 40% du maïs récolté, durant la période de 12 mois commençant en septembre, servira à la production d'éthanol, un peu plus que la part habituellement réservée au bétail.

Dans les prés de l'Oncle Sam, on a donc choisi de mettre l'automobile devant les boeufs.

La production agricole à des fins énergétiques, qui fluctue en fonction des pressions politiques et des cours changeants du brut, n'est qu'un des facteurs complexes qui influent sur les prix des aliments.

Une météo de plus en plus imprévisible et la spéculation croissante agissent aussi en ce sens et sont en train de transformer le marché agricole en véritable casino. Une situation qui inquiète les pays riches de la planète.

Le G20 s'y met

C'était donc une première: l'agriculture était à l'ordre du jour du G20 mercredi et jeudi derniers.

Les 20 ministres de l'Agriculture des pays de cette instance, d'habitude centrée sur les questions financières, se sont retrouvés à Paris pour discuter d'un plan d'action visant à réduire la volatilité des prix agricoles.

Les objectifs étaient nombreux: viser une production durable, instaurer la transparence sur les marchés, accroître la coordination des États, prémunir les pays les plus fragiles contre la volatilité des prix et réguler les marchés financiers.

Les prix alimentaires, faut-il le rappeler, ont atteint des records cette année, avec des hausses de 15 à 75% pour la plupart des céréales depuis un an. Selon l'OCDE et l'Organisation pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), la production agricole mondiale n'augmentera que de 1,7% par an en moyenne d'ici à 2020, contre 2,6% lors de la dernière décennie. Or, plus de 900 millions de personnes souffrent aujourd'hui de malnutrition.

Au terme de leur rencontre, les grandes puissances ont annoncé un accord «historique», qui laissera toutefois beaucoup de gens sur leur appétit.

Une seule mesure concrète a été annoncée: la création d'une base de données sur le marché agricole.

Pour le reste, on s'est contenté de déclarations de principes, notamment pour limiter les embargos sur les exportations de nourriture. Sur la question urgente de la spéculation, on s'est borné à «encourager fortement [les pays du G20] à prendre les mesures appropriées pour une meilleure régulation», selon le communiqué officiel. Et le G20 a complètement escamoté le dossier des biocarburants.

«Je ne vois pas comment, sans contrainte, [ces pays] vont jouer le jeu alors qu'il n'y a pas d'obligations», déplore Renaud de Kerpoisson, président d'Offre et demande agricole, société-conseil européenne en gestion du risque des prix des denrées agricoles.

Les paris sont ouverts

Entre-temps, la spéculation continue de faire des dégâts.

Selon l'agence Bloomberg, des fonds d'investissement ont même augmenté récemment leurs paris sur les denrées alimentaires à la Bourse de Chicago.

Durant les trois dernières semaines, par exemple, les «spéculateurs» ont pris des positions «longues» de plus en plus importantes sur les contrats à terme de certaines céréales, telles que le soya. Autrement dit, on mise sur une augmentation continue des prix.

Pour les consommateurs, cela pourrait signifier une facture encore plus salée si l'on se fie au pif de ces investisseurs. Et la spéculation ne s'arrête pas là.

Aux États-Unis, la valeur des terres agricoles ne cesse d'augmenter, fruit là aussi d'une convoitise inhabituelle. Selon la Banque fédérale de Chicago, les prix des fermes ont grimpé de 23% l'an dernier dans l'État de l'Iowa, au coeur du Midwest.

Les terres, même laissées en friche, commandent des prix plus élevés surtout depuis que les spéculateurs sont dans le portrait. D'après le magazine The Economist, des fonds d'investissement ont acquis depuis un an environ le quart des terres cultivables vendues dans certains États américains - signe que les acheteurs n'ont pas tous le pouce vert.

Les débordements de la météo, qui ont causé des inondations en Chine ou des sécheresses aux États-Unis et en Europe, viennent aussi aiguiser l'appétit des spéculateurs.

«Il y a beaucoup de crises dues à la météo qui poussent les prix à la hausse. C'est pourquoi l'argent s'en va dans le secteur agricole», explique Peter Sorrentino, gestionnaire de portefeuille américain installé à Cincinnati, en Ohio.

Autrement dit, il faudra plus que des déclarations politiques pour freiner les spéculateurs. On attend toujours un épouvantail qui viendra effrayer les corbeaux qui rôdent dans les champs.