Malgré son strict complet gris, sa cravate rouge et sa pochette blanche méticuleusement pliée, le costume est trompeur. Xavier Rolet n'est pas un banquier français comme les autres.

Né dans une famille modeste, le chef de la direction de la Bourse de Londres a grandi à Sarcelles, banlieue chaude à 15 kilomètres au nord de Paris. Ce fils de militaire n'a pas fréquenté les grandes écoles comme HEC ou l'École supérieure de commerce de Paris. Pour entreprendre un MBA à l'Université Columbia, il a décroché une bourse de la Fondation Rotary et vendu du crédit immobilier.

Xavier Rolet a travaillé pendant 29 ans à Manhattan et à la City de Londres avant de rentrer en France en 2007 comme grand patron de Lehman Brothers à Paris. Ainsi, il a mené l'essentiel de sa carrière dans les cercles financiers anglo-saxons, chez Goldman Sachs, Credit Suisse First Boston, Dresdner Kleinwort Benson.

Mais quand on évoque son enfance à Sarcelles, une ville aujourd'hui connue pour ses HLM, récemment marquée par des émeutes, il s'enflamme en parlant de la «corruption» des responsables du logement social. Français un jour, Français toujours.

C'est avec cette même fougue que ce dirigeant de 51 ans pourfend l'offre d'achat hostile du consortium Maple sur le Groupe TMX, qui rivalise avec la proposition de regroupement des bourses de Toronto et de Londres. «Cela créerait un monopole sur 90% des échanges boursiers au Canada. Et 90% des échanges, c'est 90% de chances que le Bureau de la concurrence refuse la transaction», dit Xavier Rolet, en entrevue à La Presse.

Le grand patron de la Bourse de Londres doit vendre son projet de fusion à la fois aux actionnaires du Groupe TMX et aux autorités réglementaires qui ont droit de vie ou de mort sur cette fusion transatlantique de plus de 3 milliards de dollars. C'est délicat.

Aux autorités réglementaires, Xavier Rolet dénonce la concentration des opérations financières préconisée par Maple. Ce consortium propose de réunir sous un même toit la Bourse de Toronto, son principal concurrent, la plateforme de négociation Alpha, de même que la chambre de compensation CDS, responsable du règlement des transactions.

C'est le modèle d'affaires de la grande Deutsche Börse, aime à dire Luc Bertrand, l'instigateur du consortium Maple, qui regroupe neuf des plus grandes banques et caisses de retraite du pays. Justement, rétorque Xavier Rolet, en donnant l'exemple de l'indice Euro Stoxx 50. Cet indice de blue chips européens permet à la Deutsche Börse de récolter plus de 450 millions d'euros en revenus à lui seul.

Aux actionnaires du Groupe TMX, Xavier Rolet dénonce la valeur incertaine des actions de Maple qui seront redistribuées aux actionnaires du Groupe TMX, en plus de la portion comptant de 33,52$, pour une valeur annoncée de 48$ l'action. Les partenaires de Maple, dont la Banque Nationale et la Caisse de dépôt et placement du Québec, mettent la main sur la Bourse de Toronto en endettant le Groupe TMX, avançant peu de liquidités. «La proposition de Maple n'est pas sage: ce serait la Bourse la plus endettée du monde», dit Xavier Rolet, pour qui cet effet de levier n'est pas très feuille d'érable.

C'est sans parler du coût d'achat de CDS et d'Alpha. Encore faut-il que tous les actionnaires d'Alpha veuillent vendre, puisque la Banque Royale et la Banque de Montréal, exclues du consortium Maple, posséderaient à elles deux un droit de veto, selon des sources proches de la Bourse de Londres.

Xavier Rolet a récemment évoqué une facture de 1 milliard de dollars pour Alpha et une somme comparable pour CDS. Un chroniqueur torontois l'a toutefois accusé d'avoir grossièrement exagéré les montants en cause. Selon les multiples observés lors d'acquisitions récentes, le Globe&Mail estime qu'Alpha ne vaut pas plus de 160 millions de dollars. En se fiant à la vente de la bourse européenne Chi-X Europe à la société américaine BATS pour une somme de 300 millions US, plus des paiements totalisant 60 millions si les cibles financières sont atteintes, selon l'agence Dow Jones, Xavier Rolet estime de son côté qu'Alpha vaut trois fois plus. «Si c'est 500 millions pour Alpha, plus 500 millions pour CDS, c'est au moins 1 milliard de dollars pour les deux», dit-il.

Remarquez, ce montant est déjà deux fois moins élevé que celui que Xavier Rolet a avancé!

Difficile de dénoncer un monopole et de crier au loup tout à la fois. Si le modèle d'affaires de Maple est si lucratif, la Bourse de Toronto ne devrait avoir aucun mal à rembourser sa dette, non?

«Ce projet est plein d'incertitudes: il manque 99% de l'information», rétorque Xavier Rolet pour clore le débat. Un flou qui sert justement les architectes du regroupement Toronto-Londres, dans la campagne de peur qu'ils mènent contre le projet Maple.

Mais une partie de cette incertitude devrait être levée prochainement. Le consortium Maple prévoit déposer son offre formelle en début de semaine, possiblement dès demain.

Il n'y a aucun flou, en revanche, sur les garanties offertes au Canada et au Québec. La présence canadienne au conseil d'administration peut tomber à trois administrateurs au bout de quatre ans. Le cas échéant, plus aucun siège ne serait réservé d'office à un administrateur québécois. Qui plus est, les dirigeants du nouveau LTMX peuvent décider à tout moment de déménager ailleurs la direction et le développement des produits dérivés, le champ d'expertise de Montréal.

Xavier Rolet peut-il rassurer par écrit le gouvernement du Québec, qui s'inquiète de ces engagements limités dans le temps et d'une absence d'attache à Montréal, au-delà du maintien, en façade, de la Bourse de Montréal?

La réponse est non. «Cela n'existe nulle part, dans l'histoire de l'univers, une société qui prend des engagements à perpétuité», dit Xavier Rolet. De toute façon, ajoute-t-il, «aucune place financière ne s'est construite sur des dispositions de protection réglementaire».

«On donne quatre ans d'avance à la Bourse de Montréal, en gérant toutes nos business et notre technologie, pour établir une position de prééminence qu'elle n'a pas aujourd'hui à l'extérieur du Canada. C'est une opportunité considérable.»

Xavier Rolet comprend que les Canadiens ont été traumatisés par des acquisitions étrangères qui ont mal tourné et évoque un «élément de peur».

«Des engagements se prennent et, six mois plus tard, on tourne le dos, on prend la mitrailleuse et on fait des réductions massives d'emplois. Ce n'est pas le style de la maison. On n'est pas des Américains», assure-t-il.

Xavier Rolet tentera d'en convaincre les Québécois mercredi prochain, alors qu'il s'adressera aux membres de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Il devra se montrer très persuasif.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca