Quand je pense que nos commissions des valeurs mobilières ont toutes les difficultés du monde à surveiller adéquatement les hauts dirigeants des entreprises canadiennes qui brassent le gros de leurs affaires au Canada... Maintenant, imaginez à quel point il peut être laborieux de suivre depuis Toronto une haute direction située à Hong-Kong, soit à 12 553 kilomètres.

Prenons Sino-Forest (symbole: TRE), la «vedette» de l'heure de la Bourse de Toronto. À la suite de la publication d'une étude hautement dévastatrice, le titre de Sino-Forest s'est effondré de 75% en l'espace de quelques séances. Cette entreprise forestière a beau être inscrite à la Bourse de Toronto, il s'agit en réalité d'une «véritable» entreprise chinoise dont le champ d'activités a pignon sur rue... dans la forêt chinoise. Et dont les principaux dirigeants et administrateurs sont établis à Hong-Hong. C'est loin en ta...

Jusqu'à mercredi dernier, Sino-Forest faisait partie de cette poignée de titres-vedettes qui ont connu au cours des dernières années un énorme succès en Bourse. Fortement recommandée par les analystes des grandes maisons de courtage, l'action allait quintupler de valeur (de 5$ à 25$) en moins de cinq ans. Et n'anticipant que des bonnes nouvelles, plusieurs analystes continuaient de le recommander sans réserve.

Vendredi dernier, alors que le titre plantait royalement sous le plancher des 5$, Sino-Forest gardait la faveur des analystes: RBC Capital lui attribuait un prix cible de 27$; Crédit Suisse le voyait à 28$; Dundee Securities et TD Newcrest lui donnaient un prix cible de 34$ et Raymond James rien de moins que 37$. L'optimisme des analystes est-il tributaire de l'admiration qu'ils vouent au principal actionnaire de Sino-Forest, soit Paulson&Co? Ce fonds spéculatif de New York est dirigé par le milliardaire John Paulson, qui a fait fortune en pariant sur l'effondrement du marché américain des valeurs hypothécaires.

Lundi, tous les analystes, sauf un, ont ressenti une petite inquiétude... en retirant leurs recommandations d'achat. Pendant que Crédit Suisse se dit neutre, en abaissant son prix cible de 28$ à seulement 6$, les analystes de Raymond James et Dundee sont en «révision» de leurs optimistes analyses. TD Newcrest ne prend aucun risque en suspendant la couverture du titre.

Le «brave» analyste qui persiste (et signe) dans son optimisme, c'est celui de RBC Capital, avec son prix cible de 27$. Rien de moins dans les nébuleuses circonstances actuelles. De quoi passer pour un héros ou un zéro... d'ici à ce qu'on connaisse la vérité!

Un rappel des faits. La semaine dernière, Carson Block, directeur de la recherche de Muddy Waters, a publié un rapport dans lequel il accuse Sino-Forest d'avoir exagéré la valeur de ses actifs de bois d'oeuvre en Chine et d'avoir contrefait des transactions de vente. Comme prix cible, il lui attribuait une valeur inférieure à un dollar.

Avec pareille accusation de manipulation financière, nombre d'actionnaires ont craint le pire et ils se sont lancés dans une liquidation massive. La Bourse de Toronto a eu beau suspendre les transactions à sa cote, les investisseurs se sont virés du côté américain, où le titre a continué de s'échanger vendredi sur le Pink Sheets (titres au comptoir).

Fait majeur à noter: l'effondrement de Sino-Forest fait grandement l'affaire de Carson Block puisqu'il l'avait préalablement vendu à découvert. Lorsqu'on vend un titre à découvert (vente d'une action qu'on ne détient pas dans son portefeuille), on fait de l'argent si le titre baisse et ce, en couvrant par la suite sa position à découvert en rachetant ladite action à un prix inférieur à notre prix de vente initial.

Selon la haute direction «hongkongaise» de Sino-Forest, l'entreprise n'a rien à se reprocher. Ce sont les allégations de Carson Block qui seraient fausses et mensongères.

Pour prouver ses dires, elle a rendu publics sur son site Web des documents détaillant (en chinois) ses possessions forestières dans la province du Yunnan, ses accords sur le bois de cette province et ses relevés bancaires à Hong-Kong et ailleurs en Chine.

Dans le dessein de démontrer à la face du monde que l'entreprise n'a absolument rien à reprocher, la direction de Sino-Forest propose d'inviter en juillet les analystes à venir voir sur place les fameuses possessions forestières.

Qui dit vrai? Carson Block, le vendeur à découvert par qui est arrivé l'effondrement de Sino-Forest tout en l'enrichissant? Ou les dirigeants et administrateurs de Sino-Forest dont la fortune personnelle vient de subir une méchante coupe à blanc?

Ça risque de prendre pas mal de temps avant que les enquêteurs des autorités des valeurs mobilières nous permettent de voir clair dans ce dossier.