Ainsi donc, le gouvernement Harper veut éliminer le déficit un an plus tôt que prévu et pour cela, effectuer des compressions de 4 milliards. C'est du moins ce que les conservateurs ont promis pendant la campagne électorale, promesse reprise hier par le ministre Jim Flaherty.

Le défi peut sembler énorme. Le déficit a atteint le total astronomique de 56 milliards l'an dernier. Dans son budget de mars dernier, M. Flaherty prévoyait l'éliminer en six ans, exploit qui, au premier coup d'oeil, relève du tour de force.

Or, le «tour de force» est beaucoup moins exigeant qu'il n'y paraît. En réalité, la promesse de M. Harper repose sur du vent.

Dès cette année (l'exercice qui a pris fin le 31 mars 2011), le déficit a fondu d'une seule traite de 17 milliards pour s'établir à 39 milliards. Il n'y a rien de miraculeux là-dedans: c'est en grande partie l'effet du non-renouvellement des dépenses engagées pendant la récession.

Pendant les quatre années suivantes, toujours selon le budget du printemps, le déficit devait graduellement diminuer d'environ 10 milliards par année pour atteindre seulement 300 millions en 2014-2015. L'année d'après, le budget retrouverait l'équilibre avec un surplus de 4 milliards. Ces projections sont basées sur les prévisions de croissance du secteur privé; dans ces conditions, on peut difficilement accuser le ministre de lire l'avenir avec des lunettes roses.

Évidemment, si vous voulez décaler toutes les prévisions d'un an pour accélérer l'élimination du déficit, vous devez forcément faire reculer votre surplus de 2015-2016 sur l'année 2014-2015. Mais cela ne signifie aucunement que vous devez effectuer des compressions de 4 milliards. Nous venons de le voir, selon les propres projections du ministre, le déficit devait ressortir à 300 millions (sur un budget de 296 milliards, cela représente à peine un dixième de 1% en 2014-2015). Autrement dit, le 22 mars, en déposant son budget, le ministre Flaherty savait parfaitement que le déficit zéro, à quelques poussières près, serait déjà atteint «un an plus tôt que prévu».

Voilà donc ce qui devrait se passer si tout se déroule conformément aux prévisions.

Rien ne garantit pour autant que le ministre Flaherty puisse se croiser les bras en faisant du surf sur la croissance.

Il n'y a pas de boule de cristal infaillible. Les économistes travaillent au meilleur de leurs connaissances, avec les informations dont ils disposent au moment de faire leurs prévisions. Toutes sortes d'événements peuvent venir changer ces calculs.

Or, il se trouve que les nuages noirs recommencent à s'accumuler, et qu'il faut revoir les prévisions à la baisse.

Cela peut avoir un impact énorme sur les finances publiques. En temps de ralentissement, les recettes du gouvernement diminuent et les dépenses augmentent.

Voici, à titre d'exemple, quelle est la vulnérabilité du solde budgétaire advenant que la croissance du produit intérieur brut, sur une année, soit inférieure d'un point de pourcentage aux prévisions. Les chiffres qui suivent ont été calculés par les experts du ministère des Finances.

Le chômage va augmenter et les salaires vont diminuer, ce qui touchera directement les recettes provenant de l'impôt sur le revenu des particuliers, principale vache à lait du gouvernement. Même si on parle d'une baisse sur une seule année, son impact se prolongera plus longtemps. Ainsi, le gouvernement accusera un manque à gagner, à ce chapitre, de 1,7 milliard la première année et 1,8 milliard la deuxième année.

De la même façon, en période de ralentissement, les profits des entreprises diminuent, ce qui prive le gouvernement de 800 millions d'impôts des sociétés en deux ans.

Évidemment, les consommateurs diminuent leurs achats, ce qui freine les entrées provenant de la TPS; cela représente un manque à gagner de 600 millions en deux ans. Il faut aussi prévoir une baisse de 400 millions au compte d'assurance-emploi (parce qu'il y a moins de cotisants) et encore une autre de 400 millions au chapitre des autres revenus (taxes d'accise, droits de douane, autres revenus non fiscaux).

En additionnant tout cela, nous voici donc avec un trou de 5,6 milliards en deux ans dans la colonne des revenus.

Ce n'est pas tout. Dans la colonne des dépenses, il faudra prévoir 700 millions par année en prestations additionnelles d'assurance emploi.

Un seul petit point de pourcentage, cela représente au total un recul des recettes budgétaires de 7 milliards en deux ans. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des dépenses ponctuelles que le gouvernement peut engager pour contrer les effets du ralentissement. C'est donc dire que la bataille du déficit zéro est loin d'être gagnée.