On ne le dira jamais assez: l'image internationale d'une société a un lien direct avec son niveau de prospérité. Il saute aux yeux qu'un pays comme le Canada n'a pas le choix. Il se doit de projeter une image favorable auprès des États-Unis, de très loin son premier partenaire commercial. La perception que peuvent avoir les dirigeants politiques américains est particulièrement importante: on peut en penser ce qu'on voudra, mais ce sont eux qui font les lois - ce qui n'est quand même pas rien.

Mais qu'en est-il au juste? Peut-on mesurer jusqu'à quel point les membres du Congrès, républicains et démocrates, sénateurs et représentants, considèrent le Canada d'un oeil sympathique - ou antipathique?

Oui, on le peut.

Deux chercheurs de Vancouver, le politologue Alexander Moens et l'économiste Nachum Gabler, ont publié récemment les résultats d'un travail colossal à ce sujet (1). Leur recherche a consisté à dépouiller pas moins de 1830 interventions majeures portant sur le Canada et faites au Sénat ou à la Chambre des représentants entre 2001 et 2011.

Les interventions ont ensuite été réparties en cinq catégories: commerce, système de santé, énergie et environnement, frontière, défense et affaires étrangères. Enfin, les auteurs, dans chaque cas, ont déterminé s'il s'agissait d'interventions favorables ou défavorables. Il en résulte un portrait fort éclairant. À certains égards, le Canada jouit d'une excellente réputation auprès des législateurs américains; dans d'autres domaines, il a une solide côte à remonter. Voyons plutôt ce que cela donne, secteur par secteur.

Commerce: comme on s'en doute, il y a ici une distinction très nette entre les démocrates, traditionnellement protectionnistes, et les républicains, davantage ouverts au commerce. Ainsi, dans leurs interventions, 67% des démocrates (sénateurs et représentants confondus) sont en désaccord avec l'accord de libre-échange conclu il y a 23 ans. Chez les républicains, c'est exactement le contraire: 65% des représentants et 60% des sénateurs approuvent l'accord.

Système de santé: la réforme du système de santé américain est un enjeu politique majeur. Dans les débats au Congrès, le système canadien a souvent été cité en exemple, en bien ou en mal. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les perceptions des Américains sont radicalement opposées. Pas moins de 95% des sénateurs républicains (80% des représentants) ont une image négative du système canadien. En revanche, 77% des sénateurs démocrates (83% des représentants) ont une perception positive. Ces chiffres doivent cependant être pris avec des pincettes: les interventions démocrates portent presque uniquement sur le meilleur contrôle des prix des médicaments, et non sur l'ensemble du système de santé.

Énergie et environnement: on a beaucoup parlé, aux États-Unis, du dirty fuel en provenance de l'Alberta. Or, l'opinion publique a beau s'agiter, le Congrès semble apprécier le pétrole canadien. Sables bitumineux ou pas, le Canada, comme fournisseur de ressources, est favorablement perçu par 89% des représentants républicains et 49% des démocrates.

Frontière: voici sans doute le dossier où le Canada est le plus mal vu. C'est d'ailleurs son véritable point faible. Ici, républicains et démocrates pensent la même chose: le Canada ne fait pas son travail aux frontières, à un point tel qu'il représente un risque de sécurité pour les États-Unis. Dans ces conditions, les auteurs notent que le Canada demeure une cible «hautement vulnérable» en cas d'une nouvelle offensive du Congrès pour renforcer les contrôles à la frontière.

D'un point de vue canadien, ces craintes ne sont pas fondées, mais rappelons qu'il s'agit ici perceptions. Il appartient aux autorités canadiennes d'expliquer la réalité aux politiciens de Washington.

Défense et affaires étrangères: on peut penser que le refus du Canada de participer à l'aventure américaine en Irak, en 2003, a contribué à détériorer son image aux États-Unis. Pas du tout. Le Canada est toujours perçu comme un allié loyal et fiable, et cette opinion est massivement partagée. Chez les représentants démocrates, c'est l'unanimité: 100% de leurs interventions dans ce dossier sont favorables au Canada. Les républicains suivent de près avec 82%. Au Sénat, les scores favorables sont de 90% (démocrates) et 86% (républicains).

(1) Le document a été publié par l'Institut Fraser, qui en fournit un excellent résumé dans la dernière livraison de sa revue Forum. On peut le télécharger gratuitement (disponible en anglais seulement) à partir de la page d'accueil de l'Institut: www.fraserinstitute.org