Cela aura été impensable il y a deux ou trois ans, alors que tout semblait perdu pour les travailleurs de la Steel Belt ou de la Motor City, écrasés par la concurrence asiatique. Mais voilà que l'industrie américaine fait un retour inespéré... comme le héros d'un film d'Hollywood.

Selon une étude du Boston Consulting Group, les Américains pourraient même reconquérir leur titre de champion manufacturier mondial d'ici à 2015, repassant devant l'industrie chinoise qui s'est emparée du premier rang l'an passé.

Cela signifie que l'ère des délocalisations - de Detroit, de Pittsburgh ou des autres pôles industriels américains vers Shanghai - va prendre fin, du moins en partie. Boston Group prévoit une renaissance «made in the USA» du secteur industriel.

Pour appuyer cette prédiction audacieuse, de gros canons du «USA inc.» viennent d'ailleurs d'annoncer des investissements majeurs aux États-Unis.

Depuis un mois, Caterpillar (équipements lourds), General Electric (biens électriques et aéronautiques) et Ford (automobile) ont tour à tour dévoilé des projets de plusieurs milliards pour accroître leur production américaine. Au bord de la faillite il y a deux ans, General Motors poussera aussi à la roue, le groupe de Detroit ayant annoncé mardi un investissement de 2 milliards aux États-Unis.

On n'avait pas vu pareille manne depuis des années.

Productivité

Pourquoi l'industrie américaine tient-elle à se rapprocher de la maison?

Certainement pas pour des raisons patriotiques ou par amour envers le président Barack Obama, dont la stratégie économique est basée sur la reprise des exportations.

Essentiellement, deux facteurs motivent les industriels: la productivité croissante des travailleurs et des salaires relativement bas.

Boston Group prévoit que, coût de la vie oblige, les salaires dans l'industrie chinoise augmenteront de 17% par an durant les 5 prochaines années, contre seulement 3% aux États-Unis.

Certes, la productivité chinoise s'améliore. Mais elle ne vaut encore qu'un tiers de celle des travailleurs aux États-Unis, ce qui compense le fait que les salaires chinois sont 10 fois moins élevés que ceux des Américains.

Puisque la rémunération représente généralement de 20 à 30% du coût de production, la Chine a donc peu de chances d'avoir encore, en 2015, un avantage en matière de coût sur les États-Unis pour fabriquer des biens destinés au marché américain.

Ironiquement, les millions de travailleurs qui ont perdu leur emploi aux États-Unis, majoritairement issus du secteur manufacturier, contribuent à la productivité croissante de leur ex-employeur. Car, malgré des effectifs moindres, plusieurs multinationales ont réussi à maintenir ou à accroître leur production pour desservir les marchés internationaux.

Il a fallu augmenter les heures travaillées, trouver de nouvelles façons de faire, pousser les machines à fond... Une belle réussite sur le plan strictement financier. Mais on a atteint la limite et les entreprises doivent maintenant investir dans leurs usines.

Les produits qui semblent les plus intéressants à fabriquer en sol américain sont surtout ceux dont les volumes sont faibles et dont le design change, comme les meubles et la machinerie. Les produits en grande série, comme l'électronique, resteront «made in China», même pour la vente aux États-Unis, selon Boston Group.

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L'an passé, la Chine a réalisé 19,8% de la production industrielle mondiale, un cheveu de plus que celle des États-Unis (19,4%), affirme un rapport d'IHS Global Insight, cité récemment par le Financial Times. En 1990, la Chine ne pesait que 3% du total.

Donc, il n'en faut pas beaucoup pour que les Américains repassent devant. Les Chinois n'ont cependant pas dit leur dernier mot.

Pour l'instant, les États-Unis consacrent quatre fois plus d'argent à la R&D que la Chine (402 milliards US contre 103 milliards US). Mais au rythme où ils augmentent les dépenses en recherche, les Chinois vont rattraper les Américains à ce chapitre en 2016, avancent des chercheurs dans le Harvard Business Review.

Il y a aussi d'autres facteurs à considérer avant de déclarer un gagnant. La faiblesse du billet vert américain et les coûts élevés du transport incitent actuellement les entreprises à s'approvisionner localement. Mais le vent peut tourner rapidement.

Il y a quelques jours, l'American Enterprise Institute a déclaré que l'essor de l'industrie américaine témoigne d'une stratégie visant à réorienter la production vers «des biens plus sophistiqués» qui sont fabriqués avec des technologies utilisant moins de main-d'oeuvre.

La guerre industrielle se jouera donc sur ce terrain: l'innovation et la recherche. Et plus le temps passe, moins les salaires compteront pour les fabricants.