Le ministre des Finances, Raymond Bachand, a dû se réjouir ces dernières semaines de laisser le micro à son homologue ontarien, Dwight Duncan. Pour une fois que ce n'est pas le Québec qui part en guerre!

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Depuis l'annonce de la fusion des bourses de Toronto et de Londres, le 9 février, c'est le ministre Duncan qui s'alarme des répercussions de cette transaction d'une valeur de 3,2 milliards de dollars. Il a ainsi comparé la Bourse de Toronto à un «actif stratégique», une allusion à peine voilée à Potash Corporation, dont le gouvernement fédéral a bloqué la vente à BHP Billiton.

Pendant ce temps, Raymond Bachand se présente comme un ministre posé qui fait preuve d'un réalisme empreint de prudence. C'est à peine s'il a craché un peu de fiel partisan sur le critique péquiste qui réclamait que Québec s'oppose à cette fusion, une contestation que Raymond Bachand a qualifiée de passéiste.

Résigné à ce que le groupe TMX soit emporté par la vague de consolidation qui balaie les grandes places boursières du monde, le ministre Bachand a néanmoins exigé des garanties écrites sur le rôle futur de Montréal. Les paroles s'envolent, les écrits restent.

Pour le ministre, la métropole doit demeurer non seulement la «principale place d'affaires des dérivés», mais aussi le «pôle de développement des dérivés». De plus, le Québec doit être représenté au conseil d'administration des deux parquets regroupés.

Ces demandes vont de soi, compte tenu des engagements pris lors de l'achat de la Bourse de Montréal par la Bourse de Toronto. Et, à écouter Xavier Rolet, chef de la direction de la Bourse de Londres, le Québec n'a pas à se faire de soucis.

Le hic, c'est que près de trois mois après l'annonce de cette fusion, les architectes de cette transaction n'ont toujours pas transmis à l'Autorité des marchés financiers du Québec (AMF) les documents qui appuient leur demande de reconnaissance à titre d'organisme d'autoréglementation. Tout cela est fort technique, mais c'est par cette autorisation à exercer son activité que Québec a un droit de vie ou de mort sur cette fusion.

Tandis que les dirigeants de la Banque Nationale du Canada déchirent leur chemise, d'autres, comme le ministre des Finances ou encore la présidente du Mouvement Desjardins, Monique Leroux, refusent encore de se prononcer sur cette fusion. Ils se réfugient derrière le fait que les documents officiels n'ont pas encore été déposés.

Sauf que cette entente, un texte de 214 pages soigneusement écrit de la plume d'avocats, est affichée à la vue de tous sur le site internet du Groupe TMX. Et que ce texte présente des trous béants, comme La Presse Affaires le rapportait la semaine dernière.

À tout moment, les dirigeants de cette bourse transatlantique peuvent déménager à l'extérieur du pays le bureau de direction des produits dérivés, censé être établi à Montréal. La présence canadienne au conseil risque aussi de se diluer après quatre ans, lorsque le seul des administrateurs du Canada tombe à un minimum de 3 sièges sur 15. Quant à la présence québécoise, elle est appelée à disparaître, surtout que l'on précise, de façon assez méprisante, que l'on «arrondit vers le bas» le nombre des administrateurs québécois, réduits à une fraction de un administrateur!

Penser que les documents qui seront transmis à l'AMF différeront substantiellement de ce qui se trouve dans ce texte tient de la pensée magique.

Invité à commenter cette transaction pour une deuxième fois, le ministre Bachand a finalement haussé le ton lundi. «S'il n'y a pas d'assurance forte sur le développement des produits dérivés à Montréal, il y aura une opposition forte qui va se manifester», a-t-il dit à mon collègue Denis Lessard.

La consolidation des grandes places boursières de la planète, qui se joue sous nos yeux, est une tendance lourde. Les bourses traditionnelles doivent réduire leurs coûts d'exploitation et se spécialiser devant la menace sérieuse que représentent les nouvelles plateformes de transaction. Au Canada, le groupe TMX a vu son monopole s'effriter. Fin 2010, il ne représentait plus que 73% du marché boursier canadien mesuré par le volume de transactions.

Mais si cette consolidation paraît inévitable, cela ne signifie pas que le Québec doit s'écraser et jouer le mort. Dans toutes les négociations pour faire approuver ces transactions, des bras de fer se jouent pour garder des centres d'expertise et les emplois hautement qualifiés qui y sont associés. Et à ce jeu-là, tout le monde joue dur. Parlez-en à la Bourse de Singapour, qui vient de voir son projet de s'unir à la Bourse d'Australie bloqué par Canberra.

Les architectes de la fusion entre Toronto et Londres ne veulent pas seulement fusionner. Ils veulent avoir carte blanche pour diriger ce groupe boursier comme ils l'entendent. À cet égard, le ministre Bachand a raison d'exiger que les garanties présentées au Québec n'aient pas une date de péremption aussi rapprochée que celle d'un pot de yogourt.

Raymond Bachand cite en exemple la convention de continuité conclue en 2007 lors de la vente d'Alcan au groupe minier Rio Tinto. Cependant, une convention mal rédigée peut mener à des absurdités. Par exemple, les 50 à 60 millions de dollars que Rio Tinto s'était engagé à investir pour agrandir la Maison Alcan, rue Sherbrooke, pourraient maintenant servir à aménager des locaux plus petits où Rio Tinto Alcan ne serait plus que locataire, a révélé mon collègue Maxime Bergeron.

C'est la dernière fois que l'Autorité des marchés financiers peut faire valoir les intérêts de Montréal comme place boursière. Québec n'a tout simplement pas le droit à l'erreur.

Pour joindre notre chroniqueuse: scousineau@lapresse.ca