L'expression ne vient pas de n'importe qui: David Dodge, ex-gouverneur de la Banque du Canada, et Richard Dion, conseiller principal chez Bennett Jones, important cabinet d'avocats de Toronto. Les deux économistes parlent de «maladie des dépenses» pour décrire le cauchemar qui attend le système de santé au Canada au cours des 20 prochaines années. Le résultat de leurs travaux vient d'être publié par l'Institut C.D. Howe 1.

D'entrée de jeu, les auteurs lancent un avertissement: il n'existe aucune façon simple de guérir la maladie des dépenses, c'est-à-dire la hausse chronique des dépenses de santé. Ils avancent quatre pistes de solution, mais reconnaissent qu'aucune d'elles n'est «attirante» ni même «souhaitable». Pourtant, les Canadiens n'ont pas le choix: si rien n'est fait, le système, déjà fort mal en point, continuera de se détériorer: files d'attente plus longues, services de moindre qualité. Rien de bien réjouissant.

D'abord, un bref rappel des constats les plus angoissants.

Depuis le milieu des années 70, les dépenses de santé augmentent beaucoup plus rapidement que le revenu personnel des Canadiens. Entre 1975 et aujourd'hui, le revenu personnel a augmenté, en termes réels, de 60%. Pendant la même période, les dépenses de santé ont grimpé de 175%. Les pressions sur le système seront aggravées par le vieillissement de la population. Ainsi, les dépenses de santé atteignent en moyenne 1590$ par année chez les hommes de 44 ans et moins; elles bondissent à 7330$ chez les 65-74 ans, et à 20 730$ chez ceux qui dépassent la barre des 85 ans. Chez les femmes, les montants sont encore plus élevés, et frisent les 23 400$ chez les aînées de 85 ans et plus. L'autre effet du vieillissement, c'est que le nombre de travailleurs qui financent le système pas l'entremise de leurs impôts continuera de diminuer. Le taux de participation au marché du travail représentait 68% de la population active en 2009; cette proportion tombera à 63% en 2030. Les coûts exploseront et il y aura de moins en moins de monde pour payer.

Clairement, on ne peut plus fonctionner comme cela.

Pour guérir la maladie des dépenses, il ne faudra rien de moins qu'une thérapie de choc. Voici, selon les auteurs, les quatre voies qui s'ouvrent aux Canadiens. Préparez-vous à quelque chose de brutal.

> 1) Pour maintenir les services publics de santé à leur niveau actuel, les gouvernements provinciaux n'auront d'autre choix que de réduire de façon considérable tous leurs autres services.

> 2) Autre voie possible, augmenter les impôts; compte tenu de la croissance fulgurante des dépenses de santé, on peut certainement penser que ces hausses d'impôts seront énormes.

> 3) On peut aussi faire payer les usagers du système; plusieurs pistes peuvent être envisagées ici, comme une forme quelconque de copaiement (c'est ouvrir la porte à l'introduction d'un ticket modérateur) ou la désassurance de certains services.

> 4) Enfin, se préparer à une dégradation majeure des services de santé publics, ce qui suppose que l'on permette aussi le développement d'un système privé de meilleure qualité pour ceux qui acceptent de payer.

Sans doute la solution passera-t-elle par une combinaison des quatre approches.

Si cela fera mal? Que oui, et le document parle de «choix difficiles, mais nécessaires».

Mais ce n'est pas le pire.

Tout ce que nous venons de voir jusqu'à maintenant est basé sur un «scénario de base», c'est-à-dire en supposant que les choses continuent d'évoluer en fonction de l'expérience des années passées. Les auteurs ont aussi voulu savoir si les Canadiens pouvaient éviter de passer par les douloureuses voies que l'on vient de voir. Pour cela, ils ont élaboré un «scénario optimiste», qui suppose un meilleur rendement du système actuel, ainsi qu'une forte croissance économique. Leur conclusion: mission impossible. Même si, écrivent-ils, le Canada réussissait à augmenter considérablement la productivité et l'efficacité du système de santé, les mêmes choix se poseraient dans toute leur rudesse. Prenons un exemple, celui de l'Ontario. Selon le scénario optimiste, les dépenses de santé dans la province passeront de 44 à 154 milliards de dollars entre 2009 et 2031, une croissance annuelle moyenne de 5,9%; or, les transferts fédéraux pour le financement de la santé, toujours selon le scénario optimiste, n'augmenteraient que de 4,7% par année. Au gouvernement ontarien de s'arranger pour trouver la différence. Et cela, insistons là-dessus, dans la meilleure des hypothèses.

Laissons le mot de la fin aux auteurs: «Nous avons tenté de diagnostiquer la maladie des dépenses et de fournir un pronostic de son évolution, écrivent-ils. Ce pronostic n'est pas favorable, même si nous réussissons à améliorer de façon incroyable l'efficacité de la prestation des soins de santé. Mais la maladie des dépenses doit être contrôlée.»

Il y a là ample matière à réflexion.

1: On peut télécharger gratuitement la version française du document en tapant www.cdhowe.org/pdf/Commentary_327_fr.pdf