C'est aujourd'hui qu'aura lieu la première assemblée annuelle des actionnaires du géant pétrolier British Petrolium depuis l'explosion de la plate-forme de forage Deepwater Horizon.

Difficile d'éclipser cette catastrophe écologique, à quelques jours du premier anniversaire de cette explosion qui, en plus de tuer 11 travailleurs, a provoqué la plus grande marée noire de l'histoire des États-Unis. BP estime à 40,9 milliards US le coût des opérations de nettoyage dans le golfe du Mexique et des dédommagements à verser aux résidants, aux pêcheurs et aux entreprises touchés.

Même si cette facture a été entièrement comptabilisée en 2010, même si la pétrolière a recommencé à verser des dividendes à ses actionnaires, le titre de BP se négocie encore à un prix de 25% inférieur à son cours avant l'accident du 20 avril 2010. Le département américain de la Justice envisage toujours des poursuites au criminel et au civil, tandis que plusieurs agences gouvernementales poursuivent leurs investigations.

Et pourtant, BP semble avoir réussi l'impossible avec l'échec retentissant de son alliance avec la société d'État russe OAO Rosneft. Avec ce fiasco qui s'ajoute à cet autre, BP s'assure de l'intérêt continu des spécialistes en gestion de crise.

Les administrateurs de BP se préparaient déjà à faire face aujourd'hui à un barrage de protestations de la part d'actionnaires mécontents. Et ce ne sont pas les moindres.

Calpers, la caisse de retraite la plus imposante aux États-Unis, a fait savoir qu'elle votera contre le rapport annuel de BP. Elle reproche aux administrateurs de la pétrolière de se défiler devant leurs responsabilités, leur gestion du risque ayant été déficiente. Cette caisse californienne s'oppose aussi à la réélection de William Castell, cet administrateur indépendant qui préside le comité sécurité, environnement et éthique au conseil.

Elle n'est pas seule. Le Florida State Board of Administration s'oppose aussi à la réélection de cet administrateur et des autres membres de son comité. Ces caisses se joignent ainsi à une alliance d'investisseurs éthiques menés par les Christian Brothers Investment Services, qui jugent que BP a échoué à démontrer qu'elle avait tiré les leçons et resserré ses pratiques.

Des consultants pour investisseurs institutionnels réputés, dont Glass Lewis et PIRC, de Londres, s'opposent de plus à la politique de rémunération de BP. Ils reprochent au conseil d'avoir attribué des primes à deux dirigeants: Byron Grote, chef de la direction financière, et Iain Conn, chef du marketing et du raffinage.

Mais les actionnaires mécontents devront jouer du coude pour s'approcher des micros au centre ExCel de Londres. Au moment d'écrire ces lignes, l'alliance par un échange d'actions de 16 milliards US entre BP et la société d'État Rosneft, pour l'exploration de l'Arctique, était en train de s'écrouler.

Ironiquement, cette alliance scellée par le successeur américain de Tony Hayward, Robert «Bob» Dudley, avait été saluée en janvier par l'industrie pétrolière et, plus largement, par la communauté financière. La troisième pétrolière au monde derrière ExxonMobil et Royal Dutch Shell pouvait enfin commencer à tourner la page sur la marée noire du Golfe en envisager de nouveaux projets offshore. Mais cet échange d'actions en vertu duquel Rosneft aurait acquis une participation de 5% dans BP, tandis que la pétrolière britannique aurait obtenu 9,5% de la société d'État russe, apparaît maintenant comme une fuite en avant.

Des protestations ont surgi dès l'annonce de cette alliance, chez les actionnaires de BP qui seront dilués comme chez les partenaires existants de BP en Russie.

BP est déjà associée depuis 2003 à un groupe de milliardaires russes appelé Alfa-Access-Renova, dirigé par Mikhail Fridman. BP s'était ainsi engagée à passer par cette coentreprise, TNK-BP, pour tout projet en territoire russe. Or, l'alliance convenue avec Rosneft, avec la bénédiction du premier ministre Vladimir Poutine et du vice-premier ministre Igor Sechin, aussi président du conseil de Rosneft, contrevient clairement au partenariat TNK-BP. Ce qu'un tribunal international d'arbitrage a convenu. Celui-ci a accordé des injonctions provisoires interdisant à BP de sceller son alliance avant de s'entendre avec les oligarques russes mécontents.

Jusqu'à la dernière minute, BP a essayé d'acheter la paix avec TNK-BP. Mais les oligarques russes ont réclamé une somme que des personnes proches de BP ont décrite dans la presse financière hier comme «irréaliste». Et par irréaliste, on parle de près de 35 milliards US pour la participation de 50% des partenaires russes dans TNK-BP! Ce qui équivaut à un multiple (pas si déraisonnable) de neuf fois les profits à venir.

Les dirigeants russes de TNK-BP sont sur le point de poursuivre BP pour 10 milliards US, rapportait hier le correspondant du Wall Street Journal à Moscou. Une gifle pour Bob Dudley, cet Américain qui était perçu comme étant plus familier avec les intrigues de palais en Russie. Avant de remplacer Tony Hayward, il avait travaillé à la direction de TNK-BP à Moscou. Jusqu'à ce qu'une dispute avec les partenaires russes, en 2007-2008, le force à quitter le pays...

Son principal interlocuteur à Moscou, Igor Sechin, a démissionné de la présidence du conseil de Rosneft tard lundi soir. La société d'État laisse maintenant entendre qu'elle se trouvera un autre partenaire que BP pour explorer l'Arctique.

Cet échec ne se solde pas avec des pélicans ou des plages engluées de pétrole. Mais, pour les actionnaires de BP, il n'en constitue pas moins une catastrophe coûteuse qui, a posteriori, aurait pu être évitée. Une autre!

La critique des actionnaires de BP aujourd'hui n'en sera que plus féroce.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca