Il fallait jeter un coup d'oeil à la presse australienne hier. Le journal The Australian, surtout. La déception, la frustration et l'amertume transpiraient à grosses gouttes des remarques des analystes qui commentaient l'opposition de Canberra à la fusion des bourses de l'Australie et de Singapour.

Le trésorier de l'Australie, Wayne Swan, a pris bien soin de préciser qu'il s'agissait d'une décision préliminaire. Mais «down under», tous ont assimilé ce refus à une fin de non recevoir. Thanks but no thanks, ce n'est pas dans l'intérêt du pays!

Après les tergiversations de l'Australie sur les superprofits des minières, après la valse-hésitation sur la taxation du carbone, de quoi avons-nous l'air? demandaient en substance ces commentateurs exaspérés.

Ce refus, qui tombe avant même la fin de la période d'examen de 30 jours de cette transaction de 8,4 milliards A, ne devrait pourtant pas surprendre qui que ce soit. Depuis des semaines, les réticences très fortes du gouvernement travailliste de Julia Gillard face à cette transaction transparaissent au grand jour.

Les architectes de cette fusion devaient se montrer très persuasifs dès le départ, pour convaincre les Australiens du bien-fondé de ce mariage avec l'une des deux grandes bourses du sud du Pacifique - l'autre étant Hong-Kong. Non seulement la transaction devait-elle passer le test du comité d'examen des investissements étrangers, mais elle devait séduire les parlementaires australiens.

En effet, la probabilité que le gouvernement minoritaire de Julia Gillard puisse faire adopter une loi pour lever la limite de 15% du capital fixée à tout actionnaire de la Bourse d'Australie ou ASX était faible. Ce gouvernement précaire est formé d'une alliance de travaillistes, d'indépendants et de verts.

Dans tous les partis (travaillistes, verts, indépendants, libéraux, nationaux), de gauche comme de droite, des voix décriaient cette fusion, perçue en Australie comme une mainmise de la Bourse de Singapour. Surtout que le gouvernement de Singapour devait contrôler 15% des parquets regroupés par l'entremise de son fonds d'investissement Temasek.

Or, les instigateurs de cette transaction ont été tout sauf habiles. Le trésorier Wayne Swan a été mis devant le fait accompli, n'ayant pas été prévenu à l'avance qu'une entente de fusion se négociait! Pis, les termes de cette soi-disant «fusion entre égaux» paraissaient nettement plus avantageux pour Singapour.

Cette iniquité est devenue frappante lorsque les termes du rapprochement entre la Bourse de Toronto et de Londres ont été connus. On réserve à des Canadiens 7 des 15 sièges du nouveau conseil d'administration (aussi composé de 5 Britanniques et de 3 Italiens), dont la présidence.

Pour calmer le jeu, la Bourse de Singapour a consenti à revoir les termes de son entente. Les Australiens devaient finalement avoir 5 postes, soit autant que les sièges réservés aux Singapouriens dans ce conseil totalisant 13 membres.

En même temps, toutefois, la Bourse de Singapour devait rassurer ses propres actionnaires, qui trouvaient salée la prime payée pour le groupe ASX.

Mais c'était trop peu trop tard. Comme le veut le dicton, on n'a qu'une seule chance de faire une première impression.

Bien des Australiens se désolent maintenant de voir leur place boursière en marge de la dernière vague de consolidation. Alors que la concurrence de nouvelles plateformes de négociations leur fait mal, les bourses établies cherchent à se doter d'une plus grande envergure. Elles cherchent à mettre en commun leurs expertises et leurs technologies, à dégager de plus grandes économies d'échelle.

Les bourses de Toronto et de Londres ont parti le bal avec leur projet de fusion à la mi-février. La grande bourse allemande Deutsche Börse leur a tout de suite emboîté le pas en présentant une offre d'achat pour la Bourse de New York, cette institution de 219 ans qui porte maintenant le nom de NYSE Euronext.

Ne voulant pas être en reste, les rivaux américains du NYSE, le marché NASDAQ OMX et le Intercontinental Exchange, se sont alliés pour tenter de ravir le parquet new-yorkais. Leur offre au comptant et en actions, d'une valeur d'environ 11,3 milliards US, surpasse de près de 2 milliards celle de la Deutsche Börse, qui n'a pas manifesté l'intention de surenchérir jusqu'ici.

Mais il y a quelque chose de suiveur à imiter une tendance sans faire preuve d'esprit critique, à fusionner pour fusionner, juste pour devenir plus gros. Encore faut-il avoir le bon partenaire. Encore faut-il que les termes de la transaction soient justes et porteurs d'avenir pour les institutions regroupées.

Plus qu'une poussée nationaliste mal déguisée, ce sont ces questions qui sont au coeur des doutes exprimés envers la fusion des bourses de Toronto et de Londres. Les économies d'échelles sont-elles vraiment là, comme s'interroge la Banque Nationale? La Bourse de Toronto a-t-elle intérêt à s'associer à un parquet qui a échoué à s'imposer dans les produits dérivés?

Jusqu'ici, ces doutes tenaces n'ont pas encore été apaisés.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca