Ce n'est pas la première fois qu'une société d'État chinoise tente de mettre la main sur une entreprise canadienne du secteur des ressources naturelles. Ni même la transaction outre Pacifique la plus importante de l'histoire du Canada.

En 2009, par exemple, le raffineur chinois Sinopec a allongé 8 milliards de dollars pour acquérir le groupe canado-suisse Addax Petrolium, dont les actions se négociaient à la Bourse de Toronto.

Les activités d'exploration et de production d'Addax se situent en Afrique et au Proche-Orient, direz-vous. Mais, même lorsque les Chinois ont posé le pied en Alberta, sur ses sables bitumineux, les Canadiens n'ont pas trop sourcillé. L'an dernier, Sinopec a acquis de ConocoPhillips une participation de 9% dans le projet Syncrude pour la rondelette somme de 4,65 milliards.

Il y a pourtant bien du nouveau. De mémoire, c'est la première fois qu'une société d'État chinoise présente une offre d'achat non sollicitée pour une entreprise canadienne. Et à 6,3 milliards de dollars, l'offre de Minmetals Resources sur Equinox Minerals ne passe pas inaperçue.

Faut-il en faire tout un plat? Pas vraiment.

D'abord, de qui parle-t-on au juste? Entreprise méconnue à l'extérieur de l'industrie minière, Equinox est un producteur de cuivre. Toutefois, et c'est essentiel, elle ne mène aucune activité au pays. Ses mines sont situées en Zambie et en Arabie Saoudite.

Comme bien des entreprises du secteur, Equinox partage sa vie entre plusieurs continents. Ses bureaux de direction sont situés à Toronto et à Perth, sur la côte ouest de l'Australie. Son conseil d'administration est plus sirop d'érable que tourtière australienne, mais son président et chef de la direction, Craig Williams, est établi en Australie-Occidentale. Quant au titre d'Equinox, il se négocie à la fois à la Bourse de Toronto (TMX) et à la Bourse d'Australie (ASX).

Bref, c'est la société internationale type. Aussi, notre attachement émotif à cette entreprise canadienne est à peu près aussi fort que le lien que nous entretenons avec notre grille-pain. Il ne fonctionne plus (généralement un jour après l'expiration de la garantie d'un an...), on en achète un autre. Fin de l'histoire.

Qu'un tel siège social ne se remplace pas au Centre du Rasoir, peu importe aux Canadiens des grandes villes, qui ont un contact et un intérêt limités pour l'industrie minière, à moins qu'ils ne boursicotent ou qu'ils travaillent pour elle comme consultants. On ne parle pas d'Alcan ici, ce producteur d'aluminium présent au Saguenay et en Colombie-Britannique dont la vente à Rio Tinto avait ébranlé le monde des affaires en 2007.

C'est un constat qui n'échappe pas à Minmetals Resources. Le titre de Minmetals Resources se négocie à la Bourse de Hong-Kong. Mais dans les faits, Minmetals Resources est contrôlée à hauteur de 56,6% par la société d'État chinoise China Minmetals Corporation, selon les documents déposés auprès des autorités réglementaires en décembre dernier. C'est donc Pékin qui tire les ficelles.

Avec un effectif de 59 500 employés, China Minmetals Corporation affichait des revenus de 24,96 milliards US en 2009, ce qui la situe au 332e rang du palmarès 2010 des 500 entreprises mondiales de la revue Forbes.

La décision de lancer une offre d'achat non sollicitée marque une rupture pour la Chine. Depuis quelques années, le pays préférait naviguer sous le radar des intérêts nationalistes les plus ouvertement craintifs et critiques des investissements chinois.

Cette discrétion apparente faisait suite à quelques revers bien publicisés. En 2004, par exemple, Minmetals s'était retiré de ses négociations avec la société minière Noranda à la suite du malaise que cette transaction suscitait à Ottawa. En 2005, la société d'État China National Offshore Oil Corp. a aussi essuyé un échec lorsqu'elle a voulu acquérir le producteur californien Unocal, ce qui a suscité un vif ressac à Washington.

À tort ou à raison, plusieurs pays craignent que la Chine ne fasse passer ses intérêts de grande consommatrice de ressources naturelles avant ceux d'une entreprise exportatrice à vocation commerciale.

Mais Equinox, ce n'est pas PotashCorp, le premier producteur mondial de potasse. Ottawa, rappelons-le, a exceptionnellement bloqué sa vente au géant BHP Billiton l'automne dernier à la suite d'un fort mouvement d'opposition en Saskatchewan et, plus largement, dans l'ensemble du pays.

L'achat d'Equinox ferait de Minmetals le 14e producteur mondial de cuivre, d'après son chef de la direction, Andrew Michelmore. On voit mal comment les autorités qui examinent les acquisitions étrangères, au Canada comme en Australie, pourraient s'en alarmer. Et cela, même si on ignore si la Chine utilise tout le cuivre qu'elle achète ou si elle se constitue des réserves, observe Stephen Briggs, analyste en métaux chez BNP Paribas, cité par le Wall Street Journal. Le cuivre est essentiel aux industries de l'énergie, de la construction et des technologies.

La vente d'Equinox, si elle se concrétise, ne devrait donc pas faire perdre de sommeil aux politiciens du pays. Ils ont bien d'autres chats à fouetter dans leurs autobus de campagne. En revanche, si la Chine devait se servir de ses formidables moyens financiers pour lancer plusieurs offres d'achat non sollicitées, voire hostiles, alors là, ce serait une tout autre histoire.

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Parlant de tourtière australienne, je dois signaler une erreur dans ma chronique de samedi sur l'héritage de Frank Stronach. Cet homme qui a bâti l'empire de Magna International à partir d'un petit garage de Toronto était un immigrant autrichien, et non pas australien, comme je l'ai écrit par distraction. La graphie des deux mots étant proche, cette erreur n'a pas été repérée à la relecture. Mes excuses.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca