Mauvaise journée au bureau. C'est ainsi que se résume le mardi de MasterCard, de Visa et des grandes institutions financières du pays.

À Brantford, en Ontario, où il faisait campagne hier, le chef néo-démocrate Jack Layton a promis de plafonner les taux d'intérêt des cartes de crédit. Et ce plafond (taux préférentiel des banques plus 5%) est fort éloigné des taux qui sont actuellement pratiqués par les institutions financières. Sur la carte de crédit type, cette différence est de l'ordre de 11%!

Même si le NPD a peu de chances d'être élu, le fait que ce parti en ait fait sa première promesse électorale démontre l'importance que les néo-démocrates accordent à cette question. Importance qui pourrait se traduire en influence si les électeurs renvoient à Ottawa un autre gouvernement minoritaire.

Comme si ce n'était pas assez, une commerçante de Vancouver a intenté hier un recours collectif auprès de la Cour suprême de Colombie-Britannique contre MasterCard, Visa, les grandes banques et le Mouvement Desjardins. Propriétaire d'une boutique de meubles, Mary Watson prétend que ces entreprises ont comploté pour forcer les commerçants à accepter toutes leurs cartes de crédit, même les cartes à privilèges dont les frais de transaction sont plus onéreux.

Ce recours collectif ne représente pas une grande surprise. Il suit de peu la décision du Bureau de la concurrence de dénoncer les pratiques anticoncurrentielles des émetteurs de cartes auprès du Tribunal de la concurrence, en décembre.

Dès qu'un commerçant accepte une carte, il est tenu de les prendre toutes, même les plus coûteuses, déplore le Bureau de la concurrence. De plus, un commerçant ne peut inciter un consommateur à se servir d'un mode de paiement moins coûteux, comme une carte de débit ou encore un paiement comptant. Ainsi, les commerçants du Canada absorbent des frais de transaction élevés, que le Bureau estime à 5 milliards de dollars par année. Frais qui sont ensuite refilés à tous les consommateurs...

Elle ne date pas d'hier, la grogne des commerçants et des consommateurs contre Visa, MasterCard et les émetteurs de cartes. Mais il est nouveau que l'industrie du crédit se trouve dans le collimateur des gouvernements. Ses difficultés récentes remontent à la crise financière, qui a mis en relief l'endettement inquiétant des ménages.

Or, même si les Canadiens tirent une certaine fierté d'avoir mieux traversé cette crise, sur le plan de l'endettement, ils n'ont pas de quoi se vanter.

Leur endettement personnel est horriblement élevé. Au quatrième trimestre de 2010, le rapport de la dette des Canadiens à leur revenu disponible s'élevait à 146,8%, selon Statistique Canada. Il y a 10 ans, cette proportion n'était que de 110%!

Bien sûr, une bonne partie de cette dette découle de leur hypothèque. Comme il n'y a pas eu de bulle spéculative à l'américaine au Canada, cette dette repose sur un actif solide. Mais les dettes de consommation ne sont pas à négliger pour autant.

Au Canada comme aux États-Unis, les gouvernements sont intervenus depuis trois ans pour mettre un terme à certaines des pratiques les plus discutables de l'industrie du crédit. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, a ainsi revu la réglementation des cartes de crédit pour imposer un cadre plus strict, en vigueur depuis septembre dernier.

Par exemple, le gouvernement a assaini les pratiques des émetteurs qui hameçonnaient des clients avec des taux ridiculement bas sur les transferts de soldes et les avances de fonds. Les consommateurs ne peuvent plus perdre leur délai de grâce de 21 jours sans intérêt parce qu'ils n'ont pas acquitté en entier leur facture du mois précédent. Les émetteurs ne peuvent plus augmenter la limite de crédit sans avoir obtenu le consentement du détenteur de la carte. Surtout, les émetteurs de cartes de crédit doivent afficher clairement tous les renseignements importants. Fini les petits caractères!

En résumé, il y a moins d'entourloupes.

Mais le consommateur est-il vraiment plus avancé lorsqu'il sait qu'en payant seulement le minimum exigé à tous les mois, il mettra 10 ans à rembourser son solde de 1000$? Et qu'il aura payé, dans l'intervalle, près de 800 $ en intérêt? Je n'en suis pas convaincue.

Le gouvernement a tourné autour du pot au lieu de s'attaquer à l'essentiel: le paiement minimum exigé à tous les mois et les taux d'intérêt pratiqués par les banques et le Mouvement Desjardins sur leurs cartes de crédit.

À 3% du solde, ce paiement minimum est ridiculement bas. Le Mouvement Desjardins a fait un beau geste ce week-end en le relevant à 5% - son niveau d'il y a quelques années, faut-il le préciser. Mais il faudrait un pourcentage plus élevé pour discipliner les consommateurs.

À 19% ou à 20%, les taux d'intérêt sur les cartes de crédit sont aussi exagérément élevés. Surtout lorsque le taux directeur de la Banque du Canada se situe à 1%. Pour les Canadiens qui tombent dans l'endettement, par inconscience ou par malchance, de tels taux sont à l'origine d'un cercle vicieux.

Après la déconfiture américaine, le gouvernement ne peut plus ignorer les conséquences économiques et sociales de l'endettement des ménages.

Il est vrai que les consommateurs doivent se responsabiliser. Mais il est tout aussi vrai que les excès des émetteurs de cartes de crédit invitent le gouvernement à intervenir. Et si les émetteurs craignent les pertes, ils n'ont qu'à être plus prudents lorsqu'ils autorisent des cartes plutôt que de les distribuer à tous vents!

Est-ce que le taux préférentiel plus 5% est un taux correct ou trop peu élevé? Il faudrait étudier la question avec attention. Mais chose certaine, Jack Layton a tout à fait raison de vouloir faire des taux des cartes de crédit un enjeu électoral.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca