Supposons que vous êtes propriétaire d'une PME. Afin de prendre votre retraite, vous décidez de la vendre en vue d'encaisser 1 million de dollars de gain en capital. Deux acheteurs se pointent à votre bureau, soit votre fils et un pur étranger.

À qui allez-vous céder votre entreprise pour en assurer la pérennité? D'emblée, vous allez répondre que votre choix portera sur fiston, question de permettre à la relève familiale de poursuivre votre oeuvre. Eh bien! vous venez de prendre une très mauvaise décision, d'affaires s'entend.

Pourquoi? Parce qu'en vertu de la Loi sur l'impôt sur le revenu vous bénéficierez d'une exemption de gain en capital de 750 000$ si vous cédez les actions de votre entreprise privée à un acquéreur avec qui vous n'avez aucun lien de dépendance.

Par contre, si vous cédez votre entreprise à votre fils, vous ne pourrez pas bénéficier de cette alléchante exemption de 750 000$. En effet, en vertu de l'article 84.1 de la loi de l'impôt ce gain en capital d'un million que vous venez d'encaisser ne sera pas traité comme «gain en capital» mais plutôt comme «dividende» présumé.

Ce qui représente un méchant désavantage fiscal. Reprenons les chiffres.

A-Vente au pur étranger

Gain en capital : 1 million

Exemption : 750 000$

Solde imposable comme gain en capital: 250 000$

Impôts de 24,1% sur le gain en capital: 60 250$

Gain net après impôts : 939 750$

B-Vente à fiston

Gain en capital : 1 million

Exemption : 0$

Solde imposable comme dividende: 1 million

Impôts de 36,4% sur le dividende : 364 000$

Gain net après impôts : 636 000$

Ainsi, en privilégiant la vente à fiston, vous perdriez un revenu net de 303 750$.

Qu'allez-vous faire? Convenons que les chances sont très fortes de privilégier le pur étranger au détriment de votre propre fils.

C'est aberrant comme choix. La même chose risque d'arriver si vous décidez de céder votre entreprise à vos employés, après avoir convenu avec eux d'un arrangement financier pour vous verser votre million de gain en capital. Dans ce genre de transaction avec les employés, vous risquez également de devoir déclarer non pas un gain en capital mais plutôt un dividende présumé. Ce qui vous enlèvera le droit à l'exemption de 750 000$.

Cette grande iniquité fiscale envers les propriétaires de PME qui souhaiteraient notamment passer le flambeau à des membres de leur famille ou à leurs employés a été dénoncée par la firme Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT).

Dans un rapport élaboré par Suzanne Landry, associée universitaire de la firme comptable et professeur titulaire en comptabilité et fiscalité à HEC, la firme réclame de mettre fin à cette iniquité fiscale.

«Nous sommes d'avis que l'application de l'article 84.1 (qui transforme le gain en capital en dividende) aux transferts réels d'une société à la famille ou aux employés est inappropriée car ces transferts favorisent le développement économique régional et permettent d'assurer la pérennité des entreprises canadiennes. Préserver le contrôle canadien des entreprises au Canada est plus qu'un objectif souhaitable, cela permet surtout de conserver les profits de ces sociétés en territoire canadien plutôt que de les voir partir à l'étranger.»

«Nous croyons, ajoute Mme Landry, que des allégements devraient être apportés à la législation fiscale afin de faciliter les transferts d'entreprises entre personnes liées et ainsi créer un climat plus propice au transfert d'entreprises entre générations et entre membres d'une même famille ou aux employés.»

Pour convaincre les autorités fiscales qu'il est urgent de corriger cette aberration fiscale de couper l'exemption de 750 000$ aux propriétaires qui veulent céder leur entreprise à leur progéniture ou à leurs employés, on rappelle dans le rapport que plus de 60% des actuels propriétaires de PME prévoient se retirer de leurs entreprises au cours de la présente décennie.

Pour régler le problème, la firme RCGT propose dix pistes de solution au gouvernement fédéral.

Pour le commun des contribuables qui ne bénéficie d'aucune exemption de gain de capital, il est évident que cette exemption de 750 000$ de gain en capital sur la revente des actions d'une PME privée représente en soi un méchant cadeau hautement discutable. Pourquoi un tel traitement de faveur envers les proprios de PME? C'est une très bonne question... Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit.

Pour les gouvernements, il ne fait pas l'ombre d'un doute que la pérennité des PME constitue un élément clé de la croissance économique et de la création d'emplois. Si tel est le cas, pourquoi favoriser fiscalement le transfert des entreprises familiales à des tiers au détriment des membres de la famille!

Franchement, que l'exemption de gain en capital de 750 000$ soit donc accordée sans discrimination. Ça nous fera une connerie fiscale de moins à supporter!