Le sixième budget du ministre Jim Flaherty se lit comme un programme électoral en trois temps.

Allegro: voyez comme nous sommes bons, nous sommes même les meilleurs, à tel point qu'il n'y a plus grand-chose à faire pour améliorer le sort des Canadiens.

Adagio: mais nous allons quand même inonder le pays de bonbons et de cadeaux.

Andante: et comme cerise sur le gâteau, nous sommes encore plus optimistes que l'an dernier quant à l'élimination du déficit.

Bienvenue au paradis!

Il est vrai que tous les indicateurs économiques du Canada soutiennent très avantageusement la comparaison avec les autres pays du G7. Le Canada a mieux traversé la récession que les autres. Il est certainement le champion du G7 pour la croissance économique et la création d'emplois. Ses finances publiques sont en bien meilleure santé qu'ailleurs. Bien que le gouvernement du Canada ait peu d'emprise sur la conjoncture internationale, l'état de santé de l'économie américaine, les taux d'intérêt, les taux de change ou les prix des matières premières, c'est tentant, pour n'importe quel ministre des Finances, de s'approprier tout le mérite de la situation. Disons que M. Flaherty, dans le genre, beurre épais: si la reprise est aussi bonne, dit-il, c'est sous l'effet des mesures exceptionnelles du Plan d'action économique du Canada, rien de moins.

Beaucoup plus spectaculaire est le véritable déluge de cadeaux, que le ministre considère manifestement comme la pièce maîtresse de son budget. On a vu des budgets, dans le passé, annoncer des réformes majeures, on en a vu d'autres remettre en question le rôle et le fonctionnement de l'État, on en a vu d'autres proposer des initiatives fiscales d'un impact considérable. Rien de tel cette année, mais un énorme catalogue où à peu près tout le monde trouve son compte.

Il y en a en tout pour 3,5 milliards de dollars sur deux ans, autant dire, sur un budget annuel de 280 milliards, une goutte d'eau dans l'océan.

Le plus gros morceau, c'est la bonification du Supplément du revenu garanti pour les aînés à faibles revenus, une mesure qui coûtera 530 millions sur deux ans. Viennent ensuite le programme écoÉnergie Rénovation-Maison (400 millions) et un financement accru pour Énergie atomique du Canada (365 millions). Le reste est réparti dans quelque 70 nouvelles mesures - ce qui donne à peine, en moyenne, 30 millions par mesure - toujours sur deux ans. Rarement aura-t-on vu aussi bel exemple de saupoudrage: 3 millions pour la création d'un Centre d'excellence pour la recherche Canada-Inde; 15 millions pour réparer les ports pour petits bateaux endommagés par une tempête; 1 million pour prévenir les arrêts de travail (!), 6 millions pour accroître la littératie financière, sans compter 20 millions pour mieux comprendre les troubles du cerveau, et ça se poursuit pendant des pages et des pages. Toutes bonnes et nobles causes, n'en doutons pas, mais il saute aux yeux que l'exercice vise d'abord à séduire à peu de frais le plus vaste bassin possible d'électeurs.

Reste l'état des finances publiques. Sur ce terrain, les nouvelles sont excellentes. Dans son budget de l'an dernier, le ministre s'attendait, pour 2010-2011, à un déficit de 54 milliards, principalement attribuable aux dépenses engagées pour atténuer l'impact de la récession. Le budget prévoyait pratiquement éliminer ce déficit en cinq ans. À l'époque, peu de gens croyaient que c'était possible.

Or, le budget de cette année montre que le ministre a des chances de relever le défi. Déjà, depuis la mise à jour économique et financière d'octobre dernier, on savait que le déficit était ramené à 45 milliards, ce qui représente une nette amélioration; les documents budgétaires déposés hier font maintenant état de 40,5 milliards, 25% de moins que les prévisions de l'an dernier.

La différence provient essentiellement de la croissance économique plus forte que prévu, ce qui a contribué à gonfler les recettes budgétaires du gouvernement. Pour la suite des choses, le non-renouvellement de certains programmes lancés pendant la récession contribuera à diminuer sensiblement les dépenses. Exprimées en pourcentage du produit intérieur brut, les dépenses de programmes passeront donc de 15,1 à 12,9% entre 2011 et 2015. Cette année-là, si les calculs du ministre sont fondés, le gouvernement devrait terminer l'exercice avec un surplus de 4,2 milliards.

Un bémol en terminant. L'an dernier, M. Flaherty avait négligé de prévoir une réserve de prudence. Cette bonne habitude, inaugurée à l'époque par le ministre Paul Martin, consistait à comptabiliser une réserve de quelques milliards pour faire face à tout imprévu. Si aucun imprévu ne survenait en cours d'exercice, la réserve était canalisée vers le remboursement de la dette. Certes, toutes proportions gardées, la dette fédérale est beaucoup moins élevée aujourd'hui qu'à l'époque de Paul Martin, et la nécessité d'une réserve est sans doute moins criante. N'empêche: dans un contexte qui demeure hautement volatil, un peu plus de prudence ne ferait pas de tort.

Le ministre Flaherty a déposé hier son sixième budget. Un document sans grande vision, qui renferme cependant une multitude de mesures diverses. De toute évidence, l'objectif premier est qu'il plaise à l'électorat canadien puisque ce budget sera défait aux Communes.

Un dossier complet à lire en pages 2 à 7

- Un répit pour les aidants naturels et les aînés PAGE 2

- Le retour à l'équilibre un an plus tôt PAGE 3

- Des baisses d'impôt maintenues pour les entreprises PAGE 7

- Ottawa reconduit un programme d'efficacité énergétique PAGE 6