Peu importe qui finira par prendre le pouvoir en Égypte, le nouveau gouvernement du pays sera d'emblée confronté à des défis économiques d'une ampleur inimaginable.

Certes, dans certains milieux économiques, on aime croire que l'Égypte peut être classée parmi les pays dits émergents.

Plusieurs indicateurs, en effet, paraissent encourageants. Le pays s'est bien tiré de la crise économique qui a secoué la planète, avec une croissance réelle de 5,3 % en 2008, 4,6 % en 2009 et 7,2 % l'an dernier. Le gouvernement a réduit les tarifs douaniers et considérablement abaissé l'impôt des sociétés, ce qui a stimulé l'investissement étranger direct : de pratiquement zéro dans les années 90, les investissements étrangers oscillent entre cinq et dix milliards par année depuis huit ans (tous les montants, dans cette chronique, sont exprimés en dollars américains).

Mais derrière ces beaux chiffres se profile une réalité plus dure : l'Égypte est beaucoup plus un pays du Tiers-monde qu'une véritable puissance économique émergente.

Le produit intérieur brut (PIB) égyptien, la valeur de l'ensemble des biens et services produits par l'économie, se situe, aux taux de change courants, à 217 milliards. À titre de comparaison, la taille de l'économie québécoise est de 318 milliards; autrement dit, 80 millions d'Égyptiens ont moins d'argent à se partager que les 8 millions de Québécois.

Le PIB par habitant se situe à 2700 $, mais ce chiffre est trompeur pour deux raisons : il ne reflète pas le pouvoir d'achat de la monnaie locale (si on exprime le même chiffre en parité de pouvoir d'achat, les Égyptiens sont deux fois plus riches - ou moins pauvres - qu'il n'y paraît) et la richesse est très inégalement répartie. Selon la plus récente compilation de la Banque mondiale, 44 % de la population égyptienne vit dans la pauvreté. Au bas de l'échelle, près de trois millions d'Égyptiens n'ont pas les moyens de se procurer leur nourriture de base, même en y consacrant la totalité de leur budget.

L'avenir s'annonce mal, surtout en raison des pressions démographiques extrêmes. En quelques décennies, la population a pratiquement triplé. Il y a 50 ans, la population égyptienne s'élevait à 29 millions; aujourd'hui, elle frise les 82 millions. Pas surprenant, dans ces conditions, que l'âge médian soit seulement de 24 ans.

Cette population s'entasse sur un territoire exigu. Certes, l'Égypte est un vaste pays de plus d'un million de kilomètres carrés. Mais là aussi, il s'agit d'un chiffre trompeur : 95 % de la population est empilée sur 5 % du territoire, le reste n'est virtuellement que désert. Dans la partie habitée, on atteint une densité de 1540 habitants au kilomètre carré, une des plus fortes au monde. Une image : cela équivaut à entasser toute la population canadienne sur un territoire grand comme le tiers du Nouveau-Brunswick! Il ne reste pas beaucoup de place pour l'agriculture, et le pays, bien que la vallée et le delta du Nil figurent parmi les terres les plus fertiles de la planète, est un importateur net de produits alimentaires.

Une des principales sources de revenus de l'Égypte est le tourisme. Ou plutôt, était le tourisme. Le massacre de Louxor a tout changé. Avant cet événement fatidique du 17 novembre 1997, le tourisme pouvait atteindre, certaines années, jusqu'à 20 % du PIB. C'est une proportion énorme, qui procure des millions d'emplois aux Égyptiens. Or, ce jour-là, des terroristes islamistes attaquent un groupe de touristes européens à la mitraillette. Bilan de l'opération : 62 touristes tués, 24 blessés. Ce n'est que le point culminant d'une série d'attentats semblables. Deux mois plus tôt, des extrémistes islamistes avaient tué neuf visiteurs européens lors d'une attaque contre un car de touristes près des célèbres pyramides. Pour ne pas nuire au secteur touristique, les autorités, à l'époque, se gardent bien de parler de terrorisme, mais attribuent l'attentat à des «psychopathes»!

Enfin, l'Égypte produit et exporte un peu de pétrole, du coton, des textiles. Ces exportations ne couvrent à peine que la moitié des importations, et le pays accuse un déficit d'environ 20 milliards par année dans ces échanges avec l'étranger.

Une bonne partie de ce trou est comblé par l'argent que les Égyptiens émigrés ou travaillant à l'étranger envoient à leur famille restée au pays. On compte en effet pas moins de 2,7 millions d'Égyptiens vivant à l'étranger, et ceux-ci expédient quelque 10 milliards par année en Égypte. C'est une source de revenus importante - aussi importante que les investissements étrangers directs, en fait. Mais une telle dépendance à l'égard des Égyptiens de l'extérieur ne constitue certainement pas un modèle économique inspirant.