La loi anti-briseurs de grève est aussi défraîchie que les tubes de Rod Stewart qui cartonnaient en 1977. C'est peut-être le seul point sur lequel tout le monde s'entend. La question qui sème la zizanie, c'est comment dépoussiérer cette loi.

Au moment de son adoption, le gouvernement souhaitait mettre fin à la violence sur les piquets de grève, comme l'expliquait hier mon collègue Martin Croteau dans un dossier très pertinent. Ces bagarres, ces saccages sont d'une autre époque.

Mais le gouvernement visait aussi à établir un équilibre de force entre les employeurs et leurs travailleurs syndiqués. Équilibre qui oblige toutes les parties à mettre de l'eau dans leur vin. Ce qui passe parfois par de douloureux compromis.

L'avènement de l'internet a rompu cet équilibre qui, il faut le bien le dire, n'est jamais parfait. Certains travailleurs sont plus essentiels que d'autres à la poursuite des activités d'une entreprise.

Cette rupture a été confirmée par les tribunaux québécois. Ces tribunaux ont fait une interprétation très littérale et étroite des dispositions anti-briseurs de grève dans le conflit de travail au Journal de Montréal. Les collaborateurs et autres mercenaires de l'info à la solde de Quebecor, qui se sont constitués en une véritable industrie qu'on pourrait appeler Scabs inc., ne sont pas considérés comme des travailleurs de remplacement du seul fait qu'ils ne travaillent pas à la rédaction du quotidien. C'est la fameuse notion d'établissement.

En commission parlementaire à Québec, le grand patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, a déploré hier le fait qu'on examine la loi anti-briseurs de grève par la lorgnette du conflit au Journal de Montréal. Il a raison. Car ce lock-out pourri qui perdure depuis deux ans pourrait se reproduire ailleurs. Dans des centres d'appels, dans des sociétés informatiques, etc. Le télétravail s'étend très loin. Jusqu'en Inde.

Certains affirment qu'avec une économie mondialisée, la loi anti-briseurs de grève n'a plus sa raison d'être en 2011. D'autres encore, comme la Fédération des chambres du commerce du Québec, croient qu'on devrait s'en départir, puisque le Québec est l'une des rares juridictions à offrir une telle protection à ses travailleurs en Amérique du Nord, avec la Colombie-Britannique. Ils suivent cette logique d'une pauvreté navrante selon laquelle pour mieux rivaliser avec le monde, le Québec doit nécessairement niveler vers le bas.

Comme si le Code du travail, aussi imparfait soit-il, est le seul déterminant de la compétitivité du Québec. Et les investissements des entreprises? Et leur recherche et développement (R&D)? Et leur productivité et leur organisation du travail? Et le dollar canadien?

La soi-disant nécessité de réviser le Code du travail dans son ensemble sert de diversion au patronat, qui n'ose pas regarder en face la brutalité de l'une de ses entreprises les plus influentes.

Le Code du travail, on pourra toujours y revenir plus tard. Notamment pour revoir le processus d'accréditation syndicale, qui gagnerait à être plus transparent (vote secret, décompte indépendant). L'urgence, c'est de remettre la notion de travail de remplacement au coeur de la loi anti-briseurs de grève.

Il est certain que, dans une économie mondialisée, des employeurs trouveront encore des façons de contourner cette loi. C'est dans la nature des choses. Mais, au moins, cela rééquilibrera les forces en présence. Et cela forcera le dialogue.

On ne peut pas revenir en arrière. Le conflit au Journal de Montréal, les 253 travailleurs l'ont perdu. Tout ce que les lockoutés veulent, au point d'écoeurement profond où ils en sont, c'est une porte de sortie honorable.

Mais il n'est pas trop tard pour faire du Québec un endroit où la négociation l'emporte sur la matraque virtuelle. Oserais-je dire un endroit civilisé?