Depuis le 28 novembre, les secrets des notes diplomatiques américaines font la manchette à tous les jours. Quand ce ne sont pas les tiraillements entre pays ou les liaisons sulfureuses d'un leader politique qui attirent l'attention, c'est Julian Assange, le visage public de WikiLeaks, moitié ange, moitié démon, qui vole la vedette avec ses démêlés avec la justice.

Abasourdis par la masse des informations qui sont dévoilées au compte-gouttes par WikiLeaks, certains experts en relations internationales ont été jusqu'à comparer la diffusion de ces quelque 250 000 dépêches au «11 septembre de la diplomatie».

Cette association est plutôt indélicate. Les attentats terroristes ont fait 3000 victimes, tandis que le «Cablegate» n'a pas mis la vie d'un seul Américain en danger, contrairement aux prétentions de Washington. Quoi qu'il en soi, comme pour l'écrasement des tours du World Trade Center, il y aura l'avant et l'après.

Quel diplomate osera décrire ses interlocuteurs avec franchise et candeur s'il croit que ses messages puissent être diffusés au grand jour ? Le personnel d'ambassade va s'autocensurer. Et la langue de bois que les diplomates utilisent en public va contaminer toutes les dépêches, même si celles-ci sont estampillées confidentielles.

Cela, c'est pour le monde diplomatique. Mais, les répercussions du «Cablegate» vont bien au-delà du siège social de l'Organisation des Nations unies ou encore des ambassades feutrées dans les capitales du monde. En fait, cette histoire devrait secouer les entreprises.

Jusqu'ici, les révélations de WikiLeaks n'ont pas éclaboussé beaucoup de sociétés. On a néanmoins appris que la multinationale Pfizer a embauché des enquêteurs privés pour trouver des informations incriminantes sur le ministre de la justice du Nigeria. Comme le racontait hier mon collègue Nicolas Bérubé, cette société pharmaceutique espérait faire chanter ce ministre pour ne pas avoir à payer un dédommagement de 75 millions US pour des tests pharmaceutiques bâclés conduits dans le nord du pays. Ils ont notamment été menés sur des enfants atteints de méningite sans l'autorisation de leurs parents. Honteux!

Mais si les entreprises ont été épargnées, c'est parce que WikiLeaks s'est intéressée jusqu'ici aux dictatures en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient, de même qu'aux mensonges des gouvernements qui guerroient en Afghanistan et en Irak. Pas parce qu'elles n'ont pas de secrets importants ou compromettants.

Avec toutes les informations qui sont maintenant stockées sur les serveurs, avec tous les employés qui repartent le soir avec leurs portables et leurs clefs USB, avec tous les employés qui mémèrent sur les réseaux sociaux, les entreprises sont archivulnérables. Le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, ne s'est-il pas fait voler son attaché-case sur la banquette de sa voiture qui était garée dans un stationnement au centre-ville de Montréal ?

Avec l'informatique dématérialisée (cloud computing en anglais), qui gagne la faveur des entreprises qui veulent pouvoir accéder à leurs données de partout, les serveurs externes sont-ils vraiment à l'abri des pirates informatiques ?

Le «Cablegate» a aussi illustré la vulnérabilité des entreprises qui dépendent de sites internet transactionnels.

Cette semaine, le groupe Anonymous s'en est pris aux entreprises qui, à l'évidence, ont cédé aux pressions des gouvernements qui veulent couper les vivres à WikiLeaks. (Aucune entreprise ne l'a admis ; elles ont prétexté des entorses à leurs règles qui les forçaient à intervenir de la sorte.)

Les informaticiens de cette association relâchée qui préconise, selon son manifeste, l'utilisation d'internet pour «faire progresser la Civilisation» ont ainsi lancé l'«Opération Revanche». Ils ont paralysé pendant quelques heures les sites de Mastercard, de Visa, de Paypal (une filiale d'Ebay) et de PostFinance, l'institution financière associée à la Poste en Suisse.

Les membres d'Anonymous n'ont pas percé les murailles informatiques de ces entreprises. Ainsi, ce ne sont pas des pirates au sens où on l'entend habituellement. Cela n'a rien à voir, par exemple, avec le personnage de Lisbeth Salander de la série Millénium de Stieg Larsson, qui semblait pouvoir fouiller dans tous les systèmes informatiques sans jamais se faire voir ou pincer.

Les informaticiens d'Anonymous ont tout simplement paralysé les sites en lançant d'innombrables requêtes. C'est la manif efficace des temps modernes. Les opposants aux rencontres de l'Organisation mondiale du Commerce devraient d'ailleurs prendre des notes, eux qui privilégient les regroupements monstres qui sont souvent marqués par de la casse et de la brutalité policière.

Les sociétés émettrices de cartes de crédit n'attirent pas beaucoup la sympathie, avec les taux d'intérêt mensuels qu'elles pratiquent. Mais il faut voir que toute entreprise avec un site transactionnel peut être attaquée. Et cela, pour des motifs qui ne sont pas toujours nobles ou chevaleresques.

Jeudi, les autorités néerlandaises ont arrêté un ado de 16 ans pour sa participation présumée aux représailles de l'Opération Revanche. Un ado !

La plus grande révélation de WikiLeaks, pour tous ceux qui se berçaient d'illusions sur la sécurité et la confidentialité de leurs informations, c'est peut-être cela. En informatique, rien n'est complètement secret. Et aucune entreprise n'est à l'abri.