La commotion à Toronto hier a été plus forte que tout le brouhaha des partisans des Alouettes qui se sont massés sur la rue Sainte-Catherine pour acclamer les vainqueurs de la Coupe Grey. La vente des Maple Leafs, l'équipe de hockey que les Torontois vénèrent, malgré sa piètre performance sur la glace, est une affaire d'État.

C'est le Toronto Star qui a fait détoner cette histoire en révélant que Rogers Communications tente de prendre le contrôle de Maple Leafs Sports&Entertainment (MLSE). Ce groupe chapeaute les Leafs, son club-école (Marlies), mais aussi les équipes de basket (Raptors) et de soccer (Toronto FC) de la Ville reine. En fait, c'est plus court de dire qu'ils possèdent tout sauf l'équipe de football des Argonauts.

Géant de la câblodistribution, du sans-fil et des médias, Rogers achèterait la participation de 66% de la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario, Teachers', pour la somme d'environ 1,3 milliard de dollars. Cette acquisition - qui exclurait les intérêts immobiliers de MLSE - représenterait la transaction la plus importante de l'histoire du sport professionnel au Canada.

Si cette nouvelle - qui n'a pas été confirmée ni infirmée par les parties intéressées - a fait tant de bruit, c'est qu'elle est hautement probable.

Rogers possède déjà les Blue Jays, le club de baseball de Toronto. Ce câblodistributeur n'a jamais caché son intérêt à sécuriser son accès à du contenu vidéo exclusif. Et cela, autant pour nourrir sa chaîne spécialisée Rogers Sportsnet que pour développer des applications qui serviront à gagner des abonnés du sans-fil.

Pour diriger sa division média, Rogers vient de recruter Keith Pelley, un ancien vice-président de CTV qui a dirigé le consortium canadien de télédiffusion des Jeux olympiques de Vancouver. Détail intéressant, Keith Pelley a présidé, de 2004 à 2007, l'équipe des Argonauts après avoir fait carrière chez The Sports Network (TSN).

Rogers a aussi les moyens de ses ambitions. L'entreprise dispose de liquidités de près de 350 millions et de marges de crédit lui permettant d'emprunter 2,2 milliards sur un coup de fil.

Du côté de Teachers', investisseur financier qui a misé sur MLSE pour le rendement, les astres n'ont jamais été aussi bien alignés.

Avec l'exception notable de la société Telus, qui ne croit pas à l'intégration verticale, de grands joueurs - BCE, Quebecor, Shaw - se ruent sur les diffuseurs et les équipes de sport professionnel pour remplir leurs écrans. Comme le disent certains commentateurs sportifs, elles sont «intenses aux rondelles libres» !

Or, la dernière fois que la convergence était à la mode, c'était il y a 10 ans...

Si l'achat des Leafs par Rogers se concrétise, de nombreux dirigeants de l'industrie des télécoms et des communications vont pester comme des coachs derrière le banc. À commencer par George Cope, ce président de Bell Canada qui verra son plus grand rival sur le marché ontarien acquérir ce qu'il considère comme un important avantage concurrentiel.

George Cope est toutefois mal placé pour critiquer Rogers. Il y a moins de trois mois, BCE a pilé sur son orgueil pour racheter CTV au prix de 3 milliards, en incluant la dette. Outre la chaîne généraliste du même nom, ce groupe de télédiffusion exploite le Réseau des Sports (RDS), qui possède les droits de diffusion des matchs du Canadien jusqu'en 2012-13.

En plus, BCE est un actionnaire minoritaire du Canadien depuis son rachat par un consortium piloté par les trois frères Molson.

Partisan de l'intégration verticale de la première heure, Pierre Karl Péladeau serait aussi mal venu de critiquer Rogers. Car, si Quebecor ne possède pas une équipe de sport professionnelle dans l'un de ses marchés, ce n'est pas faute d'en désirer une.

Quebecor s'est fait éclipser par le consortium des Molson pour le rachat des Canadiens. Quant aux démarches pour ramener les Nordiques à Québec, elles n'ont pas encore abouti. Quebecor retarde ainsi le lancement de sa chaîne de sports, bien qu'elle ait sa licence du CRTC; son contenu est encore trop mince pour en assurer la rentabilité.

La domination de Rogers dans le sport professionnel à Toronto fera néanmoins sourciller. Peut-on contrôler autant d'équipes dans un seul et même marché?

Le Bureau de la concurrence, qui a déjà examiné la vente d'équipes sportives, n'est jamais intervenu pour bloquer une transaction dans ce secteur, précise une porte-parole tout en refusant de commenter une transaction encore hypothétique.

Pierre Karl Péladeau s'était plaint il y a un an de l'«avantage indu» et «anticoncurrentiel» de RDS sur la télédiffusion des matchs du Canadien. Et à l'époque, BCE n'était qu'un petit actionnaire de RDS!

On l'imagine encore plus critique d'un possible mariage Leafs-Rogers en Ontario, une province où Quebecor est de plus en plus présente par l'entremise de sa filiale Sun. (Serge Sasseville, porte-parole de Quebecor, n'a pas rappelé La Presse hier.)

Mais les concurrents de Rogers auront du mal à défendre cette cause. On peut mettre bien d'autre chose que du hockey sur un sans-fil ou sur une tablette. Le monde du divertissement est beaucoup plus large.

Et puis, cela fait des mois que des rumeurs circulent sur la cession par Teachers' de son intérêt majoritaire dans MLSE. Si Bell ou Quebecor veut s'offrir les Leafs, ils n'ont qu'à sortir leur chéquier.

sophie.cousineau@lapresse.ca