Peut-être avez-vous lu, chers lecteurs, le passionnant reportage de mon collègue Bruno Bisson dans La Presse hier. On y apprend que Montréal demeure une ville épouvantablement congestionnée, malgré les belles promesses du ministère québécois des Transports.

En 2000, le Ministère avait dévoilé un ambitieux «Plan de gestion des déplacements de la région métropolitaine de Montréal».

On voyait grand, comme le rappelle Bruno Bisson: «Une rue Notre-Dame moderne et élargie. Le métro à Anjou. Une navette rapide reliant le centre-ville et l'aéroport de Dorval en moins de 20 minutes. Le prolongement du boulevard Cavendish. Un train léger sur l'estacade du pont Champlain. Des tramways dans le Vieux-Montréal». Dix ans plus tard, rien, absolument rien de cela n'est arrivé. C'est le plus splendide exemple de la montagne qui accouche d'une souris.

Pourtant, ce n'est pas l'argent qui manque. En 10 ans, le Ministère a englouti près de 7 milliards de dollars dans la région: 4 milliards pour le réseau routier et 3 autres pour le transport en commun (principalement pour le prolongement du métro à Laval). Le problème, c'est que les 4 milliards consacrés au réseau routier n'ont pas servi à la construction de nouvelles routes, mais simplement à l'entretien et à l'amélioration du réseau existant. D'où les embouteillages, plus nombreux et plus longs que jamais.

Ce reportage m'a donné l'idée de fouiller dans mes archives personnelles. J'y ai retrouvé une carte routière de la région de Montréal datant de 1967. Cela fait 43 ans, tout de même. C'est absolument étonnant de voir à quel point le réseau autoroutier a peu évolué pendant toute cette période.

D'abord, les ponts. En 43 ans, il ne s'est construit que deux ponts autour de l'île de Montréal: Papineau-Leblanc et l'autoroute 13. Rien pour la Rive-Sud. Pourtant, la population de Laval est passée de 175 000 à près de 400 000 pendant cette période. Sur la Rive-Sud et la couronne Nord, de moins de 500 000 à 1,5 million! Deux ponts! Et heureusement bientôt trois, si on compte celui de la 25 (chose ironique, un pointillé sur la carte de 1967 indique déjà le pont projeté sur la 25 - ce qu'il en a fallu du temps!)

Maintenant, les autoroutes. Il y a 43 ans, l'essentiel du réseau routier montréalais, tel que nous le connaissons maintenant, était déjà en place. Peu de choses ont changé:

> l'autoroute 640 a été complétée entre Bois-des-Filion et Charlemagne;

> on a construit la 13 et la 440 (autoroute Laval);

> on a aussi construit les six premiers kilomètres de l'autoroute Ville-Marie (là aussi, la carte de 1967 fait déjà état de son prolongement projeté jusqu'à l'entrée du pont-tunnel Lafontaine);

> l'autoroute 30 a été prolongée de Saint-Bruno à Candiac, mais n'est toujours pas complétée.

En tout et pour tout, il y en a pour 77 kilomètres, une hausse d'à peine 12%, alors que la population de la région a augmenté de 61% et le parc automobile encore plus rapidement. En 43 ans, cela ne fait même pas 1,8 kilomètre en moyenne par année. Et Montréal demeure toujours, en 2010, la seule grande ville nord-américaine ne possédant aucune voie de contournement, ce qui vient alourdir considérablement le trafic sur la Métropolitaine et ailleurs dans l'île, avec toutes les conséquences fâcheuses que cela suppose. Et après cela, on se demandera pourquoi Montréal demeure toujours aussi insupportablement congestionnée.

Certes, on peut toujours dire que l'automobile pollue (peut-être polluerait-elle beaucoup moins s'il n'y avait pas autant de congestion sur les routes), que la construction de nouvelles routes favorise l'étalement urbain, et qu'en ce sens, mieux vaut privilégier le développement des transports en commun.

Ce n'est pas évident. Toujours sur la carte de 1967, on voit que la ligne orange du métro va des stations Henri-Bourassa à Bonaventure. La ligne verte, de Frontenac à Atwater. La ligne jaune est la même qu'aujourd'hui. La ligne bleue n'existe pas encore. En tout, 26 stations. Aujourd'hui, il y en a 67. Autrement dit, pendant qu'on augmentait la capacité du réseau autoroutier de 12%, on triplait, ou presque, le réseau du métro (en plus d'ajouter des trains de banlieue). Tout cela n'a visiblement pas contribué à désengorger les routes, pour une simple raison: pour des centaines de milliers de travailleurs, l'automobile demeure encore le premier choix. Vous pouvez leur compliquer la vie, vous pouvez les harceler, vous pouvez même tout faire pour les écoeurer (c'est d'ailleurs bien commencé), mais ne sous-estimez jamais leur résilience. C'est une réalité, et tant que le réseau routier ne correspondra pas à cette réalité, Montréal va demeurer la capitale nord-américaine de la congestion routière.

Pour les partisans du transport en commun que cette chronique ferait rager, je précise que je prends le métro pour venir travailler au centre-ville.