D'énormes vagues de capitaux, en provenance de New York, Tokyo et Berlin, déferlent sur les marchés émergents. S'ensuit une envolée des devises de ces pays, qui érigent des barrages pour refouler la spéculation. Et ce n'est pas fini.

Y a-t-il un risque de bulle sur les marchés asiatiques? La Banque mondiale, elle, est convaincue que oui.

Dans un rapport publié la semaine dernière, l'institution met clairement en garde les autorités de la région contre la possibilité d'une bulle financière liée à l'afflux de capitaux en provenance de l'étranger.

«Les pays en développement d'Asie orientale s'efforcent de gérer les forts volumes de liquidités générés en grande partie par l'assouplissement de la politique monétaire des États-Unis», affirme Vikram Nehru, économiste de la Banque mondiale pour l'Asie-Pacifique. Or, cette spéculation motivée par les gains à «court terme» pourrait provoquer une crise si, pour une raison quelconque, le mouvement devait s'inverser, laisse entendre la Banque.

Comme il en était question dans cette chronique la semaine dernière, d'énormes sommes d'argent - résultant de la politique expansionniste de la Réserve fédérale américaine, mais aussi de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Banque du Japon - sont réorientées chaque jour vers les marchés en forte croissance en raison des bas taux d'intérêt dans les pays occidentaux.

Par le jeu des carry trades (ou transactions croisées sur les devises), les spéculateurs empruntent des milliards dans des pays où les taux sont bas, comme aux États-Unis où le taux directeur est inférieur à 0,25%, pour investir dans les pays offrant des rendements supérieurs.

Or, ces mouvements de liquidités sont, selon la Banque mondiale, responsables d'une hausse de 10 à 15% des monnaies en Asie par rapport à leur niveau d'avant la crise.

Ce phénomène, qui a déclenché la fameuse «guerre des devises», était au coeur des discussions ce week-end lors d'une réunion des ministres des Finances du G20.

Barrages

Hantés par la crise financière de 1997, les pays d'Asie - mais aussi ceux des autres marchés en forte croissance - prennent le problème très au sérieux.

Avant même que le G20 se prononce sur la question, les pays émergents ont commencé à ériger des barrières pour refouler l'argent «trop chaud» des étrangers.

La Thaïlande, par exemple, vient d'instaurer une taxe de 15% sur les gains des non-résidants détenteurs d'obligations du pays. Le but: freiner la poussée du baht, la monnaie locale, qui a pris 12% par rapport au billet vert en 2010.

L'Inde, dont la monnaie flirte avec un sommet en deux ans, envisage aussi des mesures similaires. Et la Corée du Sud prépare un plan en vue de traquer les liquidités de trop, responsables de la poussée ("7,5% face au dollar américain en trois mois) de sa monnaie, le won.

En Amérique latine, le Brésil a pris les grands moyens: le gouvernement vient de relever pour la deuxième fois en un mois une taxe sur les transactions des étrangers sur le marché obligataire brésilien. Celle-ci sera portée de 4 à 6%.

Il faut «décourager les spéculateurs», a martelé la semaine dernière Guido Mantega, ministre des Finances brésilien. La monnaie brésilienne a bondi de 8% depuis juillet par rapport au dollar américain, ce qui en fait la monnaie «la plus surévaluée du monde», au dire de Goldman Sachs.

Cette spéculation à l'échelle planétaire, menée par des hedge funds surtout, prend sans cesse de l'ampleur.

Ainsi, l'argent investi en actions dans les pays émergents a atteint les 60 milliards US depuis neuf mois, dont un tiers seulement en septembre, évalue la firme américaine EPFR Global. Or, pour 2010, ces investissements devraient tripler, à plus de 180 milliards US, par rapport à leur moyenne des cinq dernières années.

Protectionnisme

Le problème n'est pas facile à régler, surtout que les Américains semblent déterminés à garder le cap, soit en abaissant leur dollar afin de stimuler leurs exportations, tandis que la Chine s'entête à contenir les pressions à la hausse du yuan.

Mais lorsque les éléphants se battent, c'est l'herbe qui écope, dit le proverbe. On comprend alors que certains pays émergents cherchent à se protéger, ce qui inquiète le Fonds monétaire international (FMI). Car les barrages érigés pour repousser les fonds étrangers pourraient mener à des mesures protectionnistes dommageables pour l'économie mondiale.

«L'esprit de coopération doit être maintenu. Sans cela, la reprise est en péril», a dit récemment le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn. Une inquiétude légitime, que partagent plusieurs économistes. Pas sûr, cependant, que cela empêchera les spéculateurs de dormir.