Cela fait deux mois que la société australienne BHP Billiton a dévoilé son projet d'acquérir PotashCorp, le géant canadien de la potasse, pour la somme de 38,6 milliards US, en comptant s'il vous plaît.

Tous s'attendaient à ce que cette offre non sollicitée déclenche les hostilités et marque le point de départ d'une rivalité féroce entre multinationales. Après tout, PotashCorp contrôle un peu plus de 20% des réserves mondiales de potasse. La planète a impérieusement besoin de ce fertilisant pour nourrir entre 2 et 3 milliards de bouches de plus d'ici 2050. Or, cette ressource est aussi rare que coûteuse à extraire. Mettre une nouvelle mine en production exige au moins sept années de travaux, d'où le formidable raccourci que représente une acquisition.

Deux mois sont donc passés et aucun autre groupe industriel ou financier n'a présenté une offre d'achat concurrente. Aucun.

Rio Tinto et Vale ont passé leur tour. Quant aux Chinois qui songeaient à présenter une offre par l'entremise de Sinochem, société d'État active dans l'industrie chimique, ils ont jeté l'éponge, rapportait vendredi l'agence Reuters.

Pékin a cherché à obtenir l'assurance qu'Ottawa considérerait son offre d'achat au mérite. Assurance que le gouvernement chinois n'a apparemment jamais reçue. Cette requête n'était d'ailleurs pas exagérée. Partout en Amérique du Nord, les investisseurs chinois suscitent des réactions épidermiques qui fleurent la xénophobie. Et le feuilleton PotashCorp n'a pas fait exception.

Selon ses détracteurs, la Chine aurait mis de l'avant ses intérêts de pays consommateur plutôt que ceux d'une entreprise exportatrice à vocation commerciale. Ainsi donc, PotashCorp aurait ouvert toutes grandes les vannes de la production. Le prix de la potasse aurait chuté de façon dramatique et, avec lui, les redevances versées à la Saskatchewan.

Dans un rapport commandé par le gouvernement de la Saskatchewan, le Conference Board du Canada a calculé qu'une production de potasse à fort volume ferait perdre à la province 5,7 milliards sur 10 ans en impôts et en redevances.

Un tel scénario présume toutefois que Sinochem aurait présenté sans s'adjoindre des partenaires nord-américains pour la rendre plus acceptable sur le plan politique. Or, la Chine est très réticente à procéder seule depuis sa tentative d'achat avortée du producteur californien Unocal, en 2005. L'offre de la China National Offshore Oil Corp. a suscité un tel ressac à Washington que la Chine privilégie maintenant des investissements à titre minoritaire. Et qui dit partenaire qui recherche la rentabilité écarte, de facto, une production de potasse débridée.

Sans offre concurrente à celle de BHP Billiton, PotashCorp se trouve donc en position de vulnérabilité. Mais, contrairement à ce qu'on aurait pu croire, le titre de l'entreprise de Saskatoon se maintient somme toute assez bien en Bourse. L'action se négocie encore à plus de 145$, un prix qui reste supérieur à l'offre de 130$ l'action de BHP Billiton.

Ce prix ne reflète pas tant une situation de surenchère que les perspectives d'avenir de PotashCorp. En effet, les cours de nombreuses récoltes - coton, café, maïs, etc. - ont fortement grimpé ces derniers mois. Si les agriculteurs peuvent se priver de fertilisants à court terme, comme ils l'ont fait en 2008, alors que le prix de la potasse dépassait le 1000$US la tonne métrique, ils ne peuvent pas s'en passer éternellement.

La prime offerte par BHP Billiton est chiche, faut-il le rappeler. Cette prime n'était que de 16% sur le cours de fermeture de l'action de PotashCorp à la dernière séance de négociation avant l'annonce de l'offre de BHP.

C'est ce qui a fait dire au gestionnaire Stephen Jarislowsky que le Canada devrait rejeter l'offre d'achat de BHP Billiton. «Personne d'autre au monde ne donne ses matières premières et perd le contrôle de ses ressources naturelles», a-t-il dénoncé vendredi, en entrevue à La Presse Canadienne.

Le gouvernement doit déterminer si l'acquisition de PotashCorp par BHP Billiton représente un «avantage net» pour le pays. Le ministre fédéral de l'Industrie, Tony Clement, rendra sa décision le 3 novembre.

On ne peut pas dire que Stephen Jarislowsky ne prêche pas par l'exemple. Lui qui affirme avoir du mal à se construire un portefeuille d'actions canadiennes détient, par l'entremise de sa firme, 3% des actions en circulation de Potash. Actions que, pour l'instant, il tient mordicus à conserver.

Jarislowsky Fraser n'est pas le seul investisseur institutionnel qui tient à trouver une solution canadienne, s'il faut en croire le Globe& Mail.

Le Alberta Investment Management Co., la caisse de retraite de l'Alberta, aurait entrepris des pourparlers avec d'autres caisses au pays dans le but d'acquérir une participation de 30% dans PotashCorp. Cet investissement assurerait une minorité de blocage en cas d'offre d'achat non sollicitée.

Le plan en question est décrit par le Globe comme un long shot, soit comme ayant une faible probabilité de réussir. Il implique de trouver, à court terme, près de 13 milliards de dollars. C'est moins que 40 milliards, mais cela reste une somme non négligeable.

Il n'empêche que ce projet illustre bien une contradiction, voire une aberration du Canada. Si PotashCorp est une si bonne affaire que cela, si même certains gestionnaires de fonds déplorent la vente possible de ce producteur de potasse à des intérêts étrangers, pourquoi est-ce que les investisseurs institutionnels du pays ne s'engagent pas à plus long terme dans cette entreprise, en devenant un actionnaire de référence? Bref, pourquoi ne sont-ils pas collectivement plus cohérents?

Faire de l'argent avec un fleuron canadien pour bloquer sa vente à des intérêts étrangers, c'est aussi plus politically correct qu'une intervention directe gouvernement. Intervention qui ne manquera pas d'attirer l'attention des autorités et des experts en commerce international.

Présenté simplement, c'est une belle façon de faire d'une pierre deux coups.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca