La scène dégageait une forte impression de déjà-vu. Pour la deuxième fois, Jean Charest et sa suite débarquaient à l'usine de Bombardier Transport à La Pocatière pour annoncer l'attribution d'un contrat pour la construction de 500 voitures de métro. Il n'y avait que quelques ministres qui avaient changé de place, Claude Béchard étant l'absent le plus remarqué.

«Le train arrive à la gare», a annoncé le premier ministre. Avec cinq années de retard, ont maugréé les Montréalais qui font les frais des pannes d'un métro qui tombe en pièces.

Pas étonnant que Jean Charest n'ait pas manifesté, hier matin, tout l'enthousiasme de circonstance pour un contrat de l'ordre de 1,3 milliard de dollars. Cette affaire qui aurait dû se régler rapidement s'est transformée en interminable cauchemar pour son gouvernement.

Il y a cinq ans, les libéraux avaient invoqué l'urgence d'agir pour justifier l'attribution de ce contrat sans appel d'offres international. Et c'est le même argument que ce gouvernement sert aujourd'hui aux Québécois.

Mais on ne peut pas dire que c'est un retour à la case départ, comme plusieurs l'affirmaient hier.

Même en faisant abstraction des honoraires d'avocats qui ont été claqués par toutes les parties qui ont touché à ce dossier - et ce n'est apparemment pas terminé - on ne parle plus du même contrat.

À l'origine, le gouvernement avait attribué ce contrat pour remplacer les vieilles voitures de métro à Bombardier seule, pour des raisons politiques évidentes. Québec était - et reste - en droit de le faire.

L'accord sur les marchés publics de l'Organisation mondiale du commerce, la police du fair-play dans les échanges internationaux, est truffé d'exceptions. Il s'applique aux pays signataires et non aux provinces ou aux juridictions inférieures, dont la Société de transport de Montréal (STM). Et il exempte les achats de matériel de transport urbain.

Si Québec s'est retrouvé devant les tribunaux pour défendre sa décision, contestée par le constructeur français Alstom, c'est que le gouvernement n'avait pas suivi sa propre Loi sur les sociétés de transport en commun. Cette loi permet au gouvernement d'attribuer un contrat sans appel d'offres, à la condition de s'être assuré qu'aucune autre entreprise établie au Canada ne soit en mesure d'effectuer les travaux. Une vérification que Québec a faite après coup, et de façon bâclée. D'où la décision de la Cour supérieure d'ordonner la tenue d'un appel d'offres.

C'est ainsi qu'Alstom a forcé la porte du métro de Montréal.

Deux choses intéressantes se sont produites alors. Bombardier et Alstom, les deux anciens ennemis, ont choisi de s'associer en formant un consortium. Et le groupe espagnol Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF) ne s'est pas manifesté...

L'autre chose qui a changé depuis 2006, c'est le rapport de force dans les négociations entre Bombardier et le gouvernement. «On dirait que lorsqu'on parle d'absence d'appel d'offres, c'est comme si Bombardier voulait faire un hold-up», disait à l'époque Laurent Beaudoin, président du conseil de Bombardier, pour défendre la négociation de gré à gré.

Sauf que l'argument de Laurent Beaudoin n'a pas résisté à l'épreuve du temps. Dès que Bombardier et Alstom se sont alliés, le consortium est rapidement devenu intraitable sur le prix et les conditions de financement. La STM avait un fusil sur la tempe. Et les négociations ont stagné pendant des mois...

Il aura fallu que la firme espagnole CAF soit jugée en mesure d'exécuter le contrat de la STM pour que, soudainement, Bombardier et Alstom deviennent moins gourmands!

D'après les chiffres obtenus par mon collègue Denis Lessard, le prix facturé par voiture a chuté de 3,4 millions à 2,6 millions, une économie non négligeable de 24%. Ce montant correspond à l'évaluation indépendante menée par la firme Hatch Mott MacDonald à la demande du gouvernement du Québec.

Ainsi, les contribuables québécois ont profité indirectement du jeu de la concurrence, même si ce n'était pas un appel d'offres en bonne et due forme. Disons que cela rend la chose un peu plus digeste.

Peut-être que Québec aurait pu économiser davantage avec le groupe CAF. Mais il est un peu suspect que CAF, qui avait toujours évoqué des économies de l'ordre de 15% à 20%, sorte de son chapeau un prix de 1,4 million de dollars par voiture. Et cela, dans un communiqué publié à la veille de l'annonce du premier ministre. Un prix si peu élevé, pour une entreprise qui doit financer, construire et roder une usine neuve, avec des employés québécois payés aux taux horaire d'ici, laisse sceptique.

Quoi qu'il en soit, c'est un débat dont le Québec a choisi de faire l'économie.

La province ne sort toutefois pas indemne de cette longue comédie d'erreurs, des «imprévus», pour reprendre l'euphémisme du premier ministre Charest. Pour une province qui dépend des exportations et qui se dit libre-échangiste, il est plutôt mal vu de ne pas s'ouvrir à la concurrence et de favoriser ses intérêts locaux. C'est un cas de «faites ce que je dis mais pas ce que je fais».

Avec ce double discours, le Québec n'aura pas beaucoup de crédibilité lorsqu'il tentera de faire valoir son point de vue lors des négociations menées actuellement entre le Canada et l'Union européenne. Cet ambitieux projet d'accord de libre-échange pourrait justement aller plus loin que l'ALENA et couvrir les appels d'offres des provinces et des municipalités.

Pour le Québec, qui est présent pour la première fois à la table de négociation, ce sera une belle occasion de... se taire.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca