Mercredi soir, à la veille de l'assemblée des actionnaires du détaillant américain Casey's, les dirigeants d'Alimentation Couche-Tard savaient déjà qu'ils avaient perdu la bataille. Peut-être pas la guerre, mais une bataille déterminante, cela oui.

> Sur le blogue de Sophie Cousineau: Au pays de Casey's

«On ne pourra pas nous reprocher de ne pas avoir été jusqu'au bout, confiait alors en entrevue Raymond Paré, chef de la direction financière de Couche-Tard.

«On a fait tout ce qui était nécessaire, a-t-il poursuivi. Mais, à la fin, on ne peut pas forcer des gens à accepter ce dont ils ne veulent pas.»

Cette défaite s'est confirmée hier. À la fin d'une courte assemblée au siège social de Casey's sur le bien nommé Convenience Boulevard, à Ankeny, au nord de Des Moines, le président de la chaîne, Robert Myers, a fièrement annoncé que les huit candidats de la maison ont été élus de façon «écrasante».

Les administrateurs indépendants proposés par Couche-Tard pour faciliter l'étude de son offre d'achat de 2 milliards US ont mordu la poussière. Ils ont reçu moins de 10% des votes, selon le décompte préliminaire de la firme IVS Associates.

Dès l'annonce, la centaine d'actionnaires réunis dans la salle ont spontanément applaudi et crié de joie.

Les difficultés de Couche-Tard depuis six mois partent de là. Contrairement à ses acquisitions passées, Couche-Tard ne convoite pas une entreprise en difficulté.

Les actionnaires présents hier à l'assemblée, des retraités pour la plupart, sont venus se plaindre de problèmes aussi banals que la propreté des toilettes de «leur» Casey's, l'absence de panneaux-réclame ou encore le paiement préalable de l'essence aux pompes en milieu urbain. Mais aucun n'a remis en question le management de Casey's. Aucun.

Au contraire, tous louaient l'habileté de la direction à tirer son épingle du jeu durant cette période de marasme économique. «J'aime le Canada. J'ai même songé à y déménager. Mais Casey's doit rester en Iowa», a dit Virginia Stone à la sortie de la réunion.

Les gens de son État, a-t-elle raconté, ont encore en mémoire la fermeture du fabricant d'électroménagers Maytag à la suite de son rachat par Whirlpool, en 2006. «On sait ce qu'on a et on n'a pas de mauvaise surprise», conclut Virginia Stone.

«J'ai vu la valeur de mes actions grimper à tous les ans, et je ne vois pas pourquoi cela ne continuerait pas», a noté Bob Garnett, un ancien propriétaire-franchisé de Casey's pendant 24 ans.

En plus, Couche-Tard a mal joué ses cartes, juge Thomas Root, professeur associé en finance au MBA de l'université Drake, de Des Moines.

La vente d'un bloc d'actions de Casey's par Couche-Tard, peu après l'annonce de son offre d'achat pour cette chaîne de 1530 dépanneurs, a été très mal reçue en Iowa. Au-delà de la légalité du geste, qui sera déterminée en cour, cette transaction a fait passer les dirigeants de Couche-Tard pour une bande d'opportunistes.

Les dirigeants de Casey's se sont ainsi braqués contre Couche-Tard dès le départ. Doit-on s'étonner qu'ils aient été réfractaires à des négociations par la suite?

Mais quand on demande à Raymond Paré si Couche-Tard regrette ce geste, ce dirigeant n'en montre rien. «Nous ne sommes pas trop le genre à vivre de regrets», a-t-il dit d'un ton coupant.

Le coup fatal est venu de 7-Eleven, cette chaîne de dépanneurs du Texas de propriété japonaise qui perdrait son titre de numéro un aux États-Unis si Couche-Tard met la main sur Casey's. En annonçant que 7-Eleven l'avait pressentie avec une proposition d'achat à 40$ l'action (soit 1,50$ de plus que Couche-Tard), mais en ne recevant aucune offre formelle, Casey's a fait miroiter une surenchère et instauré le doute chez ses actionnaires.

De l'aveu même de Raymond Paré, cette stratégie de défense conseillée par Goldman Sachs était extrêmement habile.

Cela dit, si Casey's a remporté cette bataille, les recours qu'elle a employés pourraient bien se retourner contre elle.

En rachetant ses actions à 38$, Casey's est plutôt mal placée pour affirmer que des offres d'achat à 38,50$ ou même à 40$ sous-évaluent «grossièrement» l'entreprise.

Le professeur Root se montre aussi très critique du financement de ce rachat d'actions, que des étudiants de Drake ont décortiqué en classe, Casey's étant dans leur fonds d'investissement fictif.

Les emprunts de 569 millions que Casey's a contractés pour financer ce rachat comportent une clause particulière. Dès qu'un investisseur acquiert 35% ou plus de Casey's, la chaîne doit verser des pénalités d'environ 95 millions US à ses prêteurs, soit 17% du financement total. C'est hautement inhabituel. Avec une clause de la sorte qui soutire potentiellement des dizaines de millions à Casey's, comment la direction peut-elle prétendre défendre le meilleur intérêt des actionnaires?

La suite des choses? Tout dépend maintenant de 7-Eleven. Si cette entreprise concrétise une offre à 40$ ou plus, Couche-Tard va vraisemblablement jeter l'éponge.

«On ne se lancera pas dans une guerre d'ego pour gagner à tout prix», a dit Raymond Paré peu après son plaidoyer de cinq minutes devant les actionnaires de Casey's dans un anglais teinté de français.

«La chose la plus risquée, c'est de devenir trop émotif, trop impliqué.»

Si 7-Eleven n'est qu'un mirage, comme le soupçonne Raymond Paré, les actions de Casey's chuteront. Selon la sévérité de cette baisse, l'offre de Couche-Tard pourrait paraître plus attrayante.

Couche-Tard mise un peu sur cela. «On verra la pression que les actionnaires mettront au cours des prochaines semaines», a dit Raymond Paré, en confiant avoir été en relation quotidienne, ce dernier mois, avec les actionnaires institutionnels de Casey's.

Mais Couche-Tard ne peut faire autre chose qu'attendre, une impassibilité qui lui sied mal. Et Raymond Paré en semblait conscient alors qu'il a rapidement remonté à bord du Learjet-60 de Couche-Tard, à l'aéroport voisin du siège social de Casey's.

Le monde est grand. Et Couche-Tard est déjà ailleurs.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca