Si rien n'est fait, le régime public de santé au Canada se dirige tout droit vers un mur.

Pour tous ceux qui connaissent le moindrement le dossier du financement de la santé, ce constat n'a rien de nouveau. Les coûts explosent: la santé avale maintenant près de la moitié des dépenses de programmes des provinces. Pourtant, les services se détériorent: difficulté à trouver un médecin de famille, délais d'attente inadmissibles en chirurgie, engorgement des urgences. Tout cela est abondamment chiffré et documenté.

La très sérieuse Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) vient d'apporter sa contribution au débat. Contribution qui ressemble davantage, en fait, à un véritable coup de semonce. L'OCDE, dont le siège social est à Paris, regroupe pour l'essentiel les pays riches. Elle publie régulièrement des études de grande qualité sur les pays membres. Hier, c'était le tour du Canada.

Ces études sont réalisées en collaboration avec les pays concernés. Ottawa savait donc à l'avance ce que contient le rapport. Cela ne signifie aucunement que le gouvernement est d'accord avec son contenu, et il n'est nullement obligé d'appliquer ses recommandations.

Recommandations, voilà le mot-clé.

La plupart des études sur ce sujet brûlant se contentent de dresser un portrait (le plus souvent assez noir) de la situation. L'OCDE va plus loin en émettant des recommandations qui heurtent de plein fouet un certain nombre de tabous.

D'abord, le rappel d'une évidence: les finances canadiennes ne peuvent plus supporter la croissance folle des dépenses de santé, soit 8% par année au cours des 10 dernières années. Pour continuer de financer la santé à ce rythme, il faudrait en venir à sabrer partout ailleurs et à augmenter les impôts de façon importante, deux approches rejetées par le rapport.

L'OCDE trouve plus réaliste de plafonner la hausse des coûts à 4%. Ces quelques points de pourcentage font une différence énorme quand on sait que les dépenses publiques de santé au Canada dépassent les 120 milliards.

Or, il se trouve que les dépenses publiques de santé au Canada soutiennent très bien la comparaison avec les autres pays industrialisés. Ce n'est pas l'argent qui manque dans le système, c'est la façon avec laquelle il est administré qui fait problème. Pour reprendre textuellement le document, «le Canada peut en obtenir plus pour son argent dans le système de santé».

Comment cela? C'est ici que l'on s'attaque aux tabous. Voyons plutôt:

> les réglementations interdisant la couverture privée des services de base devraient être supprimées;

> suppression également de l'interdiction des contrats mixtes public-privé pour les médecins;

> obligation de rendre compte des dépenses à l'échelon provincial;

> remplacement du financement des hôpitaux non plus sur la base des coûts historiques, mais sur la base standard du niveau d'activité;

> pour les médecins, rémunération selon le nombre de patients plutôt que rémunération à l'acte;

> dépolitisation des négociations avec les médecins, «représentés par de puissants syndicats»;

> s'attaquer à la pénurie de données de qualité permettant de prendre de meilleures décisions en matière d'allocation de ressources et de traitements (cette tâche pourrait être confiée à l'Institut canadien d'information sur la santé, qui jouit d'une solide crédibilité);

> introduction d'une participation financière des patients;

> mise en place par Ottawa d'un système permanent et plus stable pour la détermination des transferts aux provinces.

Ouf! Il y a là de quoi débattre amplement. En attendant, tout cela suppose évidemment une révision de la Loi canadienne sur la santé, et il y a gros à parier que nous en sommes encore loin. Le rapport de l'OCDE a le mérite de nous garrocher la réalité en pleine face. Comme société, les Canadiens peuvent choisir de garder leur système de santé tel quel. Mais ils doivent aussi savoir qu'ils en paieront le prix: coupes dans l'ensemble des autres services gouvernementaux, augmentations de taxes et d'impôts, sans que tout cela n'empêche pour autant le système de continuer à se dégrader.

Dans un autre ordre d'idées, le rapport appuie l'idée d'une commission nationale des valeurs mobilières «quelle que soit l'issue des efforts déployés pour associer toutes les provinces à ce projet» (autrement dit, si le Québec continue de s'y opposer, Ottawa devra quand même créer sa commission nationale).

L'OCDE reproche par ailleurs au Canada de traîner les pieds dans le dossier de l'environnement et c'est en termes à peine voilés qu'il déplore qu'il ait choisi de s'aligner sur les États-Unis pour la réduction des gaz à effet serre: «S'il est vrai que l'intégration économique avec les États justifie une stratégie d'harmonisation», écrivent les auteurs, «les retards sont coûteux et générateurs d'incertitudes pour les investissements».

Enfin, le document souligne la «robustesse» du système bancaire canadien, qui a beaucoup mieux traversé la crise qu'ailleurs dans le monde, et vante le système de surveillance et d'encadrement du gouvernement.

120 milliards

Dépenses publiques de santé au Canada

4%

Plafond de la hausse annuelle des dépenses en santé prôné par l'OCDE pour le Canada, plutôt que les 8% observés depuis 10 ans