Cette semaine, le premier ministre terre-neuvien Danny Williams a piqué une autre sainte colère contre Hydro-Québec, qu'il accuse de manoeuvrer pour torpiller le projet de développement hydroélectrique du Bas-Churchill, au Labrador.

Et il ne mâche pas ses mots: selon le reportage de mon collègue Tommy Chouinard, dans La Presse d'hier, M. Williams déclare rien de moins qu'une «guerre de tous les instants» contre le gouvernement Charest et Hydro-Québec. Une guerre qui s'annonce féroce: «Nous ne ferons pas de prisonniers, croyez-moi!» tonne-t-il. Déjà, il accuse le gouvernement Charest de «miner le fonctionnement de la fédération» et, une fois si bien parti, n'hésite pas, inculpation suprême, à mettre M. Charest dans le même sac que les «séparatistes du Bloc québécois».

Qu'est-ce qui peut bien justifier un tel accès d'ire?

Bon, c'est connu, Danny Williams n'est pas le plus reposant des politiciens, et ses provocations spectaculaires font partie du paysage politique terre-neuvien. Dans une énorme chicane avec Stephen Harper au sujet de la péréquation (lorsque Terre-Neuve est devenue une province riche à cause de son pétrole offshore, elle a voulu continuer à recevoir des paiements de péréquation), M. Williams a fait enlever tous les drapeaux canadiens des édifices provinciaux. Ensuite, bien que chef du parti conservateur de sa province, il a tout fait pour nuire aux candidats conservateurs au cours de la dernière campagne fédérale. Le genre tête de cochon, quoi.

Pourtant, on peut comprendre son courroux contre Hydro-Québec.

Terre-Neuve envisage de développer, sur le Churchill, une nouvelle centrale hydroélectrique de taille comparable à l'énorme centrale de Churchill Falls (deux fois Manic-5). La province n'a pas besoin de toute cette électricité. L'idée est de l'exporter aux États-Unis et en Ontario. Pour cela, il faut passer par le réseau d'Hydro-Québec, qui s'y oppose parce que son réseau est déjà lourdement chargé.

Une autre option serait de contourner le Québec en construisant une liaison sous-marine avec la Nouvelle-Écosse. Mais, comme Terre-Neuve demande au fédéral de l'aider à financer ce projet, Hydro-Québec s'y oppose également en faisant valoir qu'il s'agirait là de concurrence déloyale.

Les arguments d'Hydro-Québec sont difficilement attaquables. N'empêche: les Terre-Neuviens se retrouvent assis sur un potentiel hydroélectrique sensationnel dont ils ne pourront jamais profiter tant que le Québec s'y opposera.

Comme on peut s'y attendre, Terre-Neuve a contesté la position d'Hydro-Québec devant la Régie de l'énergie, qui, il y a quatre mois, a donné entièrement raison à la société d'État québécoise.

Mais la colère de M. Williams a des sources bien plus profondes que le projet du Bas-Churchill. Cela remonte au fameux contrat de Churchill Falls, en 1969, une affaire où les Terre-Neuviens ont l'impression de s'être royalement faits avoir. Et ils n'ont pas tout à fait tort.

En vertu de ce contrat d'une durée de 65 ans, Hydro-Québec s'engageait à acheter l'électricité produite à la nouvelle centrale de Churchill Falls. Il n'y a pas de doute que, sans cet engagement, la centrale n'aurait jamais vu le jour.

Or, à l'époque, on ignorait évidemment comment allaient évoluer les prix de l'énergie. Plusieurs spécialistes pensaient même que les prix de l'hydroélectricité étaient appelés à baisser parce qu'une fois la centrale construite, l'énergie ne coûte plus grand-chose à produire.

C'est pour cela que le contrat entre Hydro-Québec et Terre-Neuve prévoit que le prix payé par Hydro sera décroissant avec le temps. Présentement (je cite ici des chiffres fournis par ma collègue Hélène Baril, spécialiste de ce dossier à La Presse), la société québécoise paie l'électricité de Churchill Falls un quart de cent le kilowatt-heure. Elle le revend 40 fois plus cher à ses clients. Pour les 25 dernières années du contrat, c'est-à-dire entre 2016 et 2041, le prix passera à un cinquième de cent.

Hydro-Québec est mort de rire, les Terre-Neuviens sont morts de rage.

Évidemment, ils ont porté l'affaire devant les tribunaux. La cause s'est rendue jusqu'en Cour suprême, qui a donné raison à Hydro-Québec. Un contrat est un contrat, et il a été dûment signé par les deux parties.

Voilà qui peut aider à comprendre le ressentiment de M. Williams. Il exprime tout haut la frustration des Terre-Neuviens, qui voient des milliards de dollars leur glisser entre les doigts. On peut le considérer comme bizarre à l'extérieur de sa province, mais, chez lui, si on se fie aux sondages, la popularité du premier ministre terre-neuvien atteint des sommets. En attendant, ce contrat continuera d'empoisonner les relations entre les deux provinces pendant encore 30 ans, et la blessure, après cela, mettra sans doute bien du temps à se cicatriser.