L'Irlande fait peur: ses banques sont en faillite, le chômage monte en flèche et l'État est fauché. Les solutions pour relancer son économie n'ont rien donné jusqu'ici.

Après la Grèce et l'Espagne, voilà que l'Irlande et son secteur bancaire sinistré ravivent les inquiétudes.

La semaine dernière, la troisième banque du pays, Anglo Irish Bank (AIB), a dévoilé des résultats désastreux. En six mois, elle a perdu 8,2 milliards d'euros, ou près de 11 milliards de dollars canadiens.

Dans la grande île aux prés verts, on n'a jamais vu un bilan d'entreprise barbouillé d'autant d'encre rouge.

Juste auparavant, deux concurrentes, Bank of Ireland et Allied Irish Bank, publiaient des résultats à peine meilleurs. Ces trois banques ont un problème commun: elles croulent encore sous le poids des actifs «toxiques» de l'immobilier.

120 milliards

Pourtant, pour sauver le secteur bancaire, l'État a employé - comme prescrit - un remède de cheval: Dublin a nationalisé en janvier 2009 l'Anglo Irish Bank et recapitalisé à coups de milliards d'autres établissements. Une bad bank, la National Asset Management Agency (Nama), a été mise sur pied pour racheter les actifs risqués.

Le coût pour renflouer AIB dépasserait les 25 milliards d'euros, a-t-on appris au cours des derniers jours. Mais selon Standard & Poor's, la facture totale du sauvetage bancaire, d'abord évaluée à 50 milliards d'euros, atteindrait 90 milliards d'euros - 120 milliards CAN. Un désastre, qui correspond à près de 60% de l'économie irlandaise.

Si bien que S&P a récemment sonné l'alarme, abaissant d'un cran (de «AA» à «AA-») la cote de crédit de l'Irlande malgré les protestations de Dublin.

D'où l'expression «zombies» que des médias européens accolent ces jours-ci aux banques irlandaises, désormais maintenues en vie artificiellement par un État surendetté.

Et les dernières données économiques ne feront rien pour chasser les fantômes: les exportations, jadis un moteur économique du pays, baissent sans cesse depuis le début de 2010.

Quant au secteur immobilier, qui s'est effondré avec la crise financière, il ne se relève pas. Au contraire, les banques sont accablées par des actifs immobiliers moribonds, y compris des milliards de prêts accordés à des hôtels quasi vides qu'on a construits durant le boom immobilier.

Sans compter que le taux de chômage a encore grimpé, en août, pour atteindre 13,8% - un sommet en 16 ans!

Un modèle?

Le plus troublant, c'est que l'Irlande était citée comme modèle en zone euro, jusqu'à récemment. Les Irlandais, avec l'appui du président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, ont pris des moyens douloureux, mais les bons, pour sortir de la crise financière, disait-on.

Afin de rééquilibrer ses finances et restaurer la confiance, le gouvernement a annoncé des mesures budgétaires draconiennes à la fin de 2009, le premier du club euro à se servir ainsi du couperet.

Dublin a taillé dans les programmes sociaux afin de ramener le déficit public, actuellement à 14% du PIB, à 2,9% en 2014. Les investissements publics, les allocations familiales et les salaires des employés de l'État ont aussi été brutalement réduits.

Ces coupes ont d'ailleurs inspiré la Grèce et l'Espagne qui, quelques mois plus tard, ont aussi emprunté la voie de l'austérité budgétaire pour mater la crise.

Or, l'Irlande attend toujours les récompenses pour ses sacrifices.

Depuis deux ans, l'économie irlandaise - l'une des plus dynamiques du monde industrialisé durant les années 90 - a rétréci de 10% et peut aspirer à une minable croissance de 0,8% cette année, selon la banque centrale du pays.

Malgré les compressions budgétaires, même les coûts d'emprunt du pays sur les marchés obligataires sont à la hausse.

De toute évidence, le Tigre celtique a été dégriffé par la crise financière. L'Irlande ne peut plus compter sur l'immobilier, qui avait été artificiellement gonflé par un crédit surabondant, ou sur une fiscalité généreuse - et coûteuse - pour attirer de nouveau les multinationales qui, pour la plupart, boudent le pays.

Pour le moment, l'austérité n'apporte que du malheur aux Irlandais. Sans oublier que la colossale facture des remèdes pour redonner vie aux zombies bancaires sera inévitablement refilée aux contribuables.

«Les enfants (de l'Irlande) paieront les dettes du pays pour des décennies», affirment Peter Boone, de la London School of Economics, et Simon Johnson, ex-économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), dans une analyse conjointe.

Bref, l'Irlande économique est un film d'horreur. Les Européens mais aussi les Américains, qui se demandent comment relancer leur économie ces jours-ci, ont de bonnes raisons de s'inquiéter et de se poser des questions.