François-Thomas Michaud dirige Feldan Bio, une petite société de biotechnologies qu'il a cofondée en 2007. Située dans le parc industriel de Québec, Feldan Bio produit des réactifs de laboratoire (protéines recombinantes, produits de biologie moléculaire) que des chercheurs emploient pour réaliser leurs expériences.

Feldan Bio compte 12 employés. Fait remarquable, cette jeune PME serait rentable. Malgré tout, François-Thomas Michaud n'arrive pas à trouver les 500 000$ dont Feldan a besoin pour financer sa croissance.

Les fonds de capital-risque lèvent le nez sur Feldan. Ils disent préférer des biotechs pures et dures, qui explorent le potentiel de molécules et font exclusivement de la R&D. Qui plus est, l'affaire serait trop petite pour qu'ils s'y intéressent.

Mais du côté des financiers traditionnels, Feldan est perçue comme une biotech: une entreprise trop risquée pour qu'ils misent dessus.

«On travaille comme des fous. Il faut y croire. Il faut pousser, dit cet ingénieur chimique de 29 ans.

«Je suis frustré quand je vois qu'un fonds gouvernemental qui est censé financer les biotechs reste à ne rien faire, et que ses dirigeants disent un vulgaire «tant pis, laissons faire les choses et le marché corrigera la situation».»

François-Thomas Michaud est l'un des acteurs de la biopharmaceutique qui ont réagi à la parution, la semaine dernière, d'une chronique sur la biotech au Québec. Ce dossier faisait suite à un riche échange entre Yves Rosconi et Jacques Bernier.

Le premier dirige Theratechnologies et préside BioQuébec, une association qui regroupe 150 PME et centres de recherche. Le second est à la tête de Teralys, un fonds de capital-risque financé par la Caisse de dépôt et placement du Québec, le Fonds de solidarité et Investissement Québec. Teralys a 700 millions de dollars à investir, le quart en sciences de la vie.

Jadis industrie-vedette, la biotech québécoise agonise. Haemacure, ConjuChem, Ambrilia Biopharma... Pas un mois ne passe, semble-t-il, sans qu'une autre entreprise ne soit placée sous un respirateur artificiel.

Les difficultés de financement touchent toute l'industrie, sur tous les continents. Mais, alors que le gouvernement du Québec s'est engagé à appuyer cette industrie qu'il qualifie de névralgique, plusieurs s'insurgent contre la lenteur avec laquelle cette aide se déploie.

Annoncée en octobre 2009, la Stratégie biopharmaceutique québécoise, dotée de près de 123 millions sur trois ans, ne s'est pas encore concrétisée.

Le gouvernement a par exemple prévu 30 millions pour que les petites biotechs n'aient pas à attendre avant de recevoir leurs crédits d'impôts à la R&D. Toutefois, en raison du petit nombre de demandes, Investissement Québec a seulement autorisé 1,6 million en financement intérimaire à ce jour, selon les données fournies par le ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation.

Québec a aussi réservé 50 millions pour attirer ou appuyer de grandes sociétés biopharmaceutiques. Mais, comme aucune entreprise ne lui a présenté de projet, aucune somme n'a encore été déboursée. «Ce genre d'investissement est de plus en plus rare dans le contexte actuel», précise même le ministère dans la réponse écrite transmise à La Presse. Pourquoi s'y intéresser, alors ?

Interviewé par téléphone, le ministre du Développement économique, Clément Gignac, affirme que les «pièces maîtresses de la stratégie se mettent en place». Il cite le nouveau fonds de démarrage en biotech, Amorchem, qui n'a toutefois pas terminé sa levée de fonds. Et il évoque la création, en octobre, d'un Forum permanent de consultation des biotechs. Mais ce n'est rien pour changer la perception que, pendant que l'industrie vit des heures critiques, le gouvernement palabre.

Clément Gignac reconnaît le «paradoxe» du Québec, qui n'arrive pas à canaliser les fonds publics aux biotechs prometteuses. Teralys s'est engagé à investir 175 millions dans les sciences de la vie, mais n'a pas déboursé un cent depuis sa création il y a plus d'un an. Ce fonds de fonds, qui ne peut investir directement dans une entreprise, attend encore qu'un fonds de capital-risque cogne à sa porte!

«Y a-t-il un maillon manquant dans la chaîne? Pourrait-on changer notre approche? On se penche là-dessus», indique le ministre Gignac.

Par ailleurs, le ministre n'a pas encore fait sa tête sur l'idée d'Yves Rosconi de se servir du pouvoir d'achat du gouvernement pour inciter les grandes sociétés pharmaceutiques à travailler de concert avec les petites biotechs d'ici. Actuellement, ce sont les membres du Conseil du médicament (des scientifiques en majorité) qui déterminent quels produits peuvent s'inscrire sur la fameuse Liste des médicaments du Québec, garantis par le régime d'assurance général de la province. «Je suis curieux d'en entendre davantage», dit le ministre.

En réaction au dossier de La Presse, Paul Lévesque, président de Pfizer Canada, s'est dit ouvert à ce type de collaboration, une tendance lourde dans l'industrie. Les grandes pharmaceutiques impartissent de plus en plus la recherche sur les traitements novateurs, pour des questions de coût et d'expertise.

Mais quelques lecteurs de La Presse bien au fait de l'industrie ont exprimé le plus grand scepticisme quant à cette avenue. «Toutes les décisions se prennent dans les sièges sociaux aux États-Unis et en Europe. Le pouvoir des présidents des filiales canadiennes est très mince. Pour mettre en valeur une biotech qui se développe au Québec, ils doivent sortir de leur sphère de responsabilités (production, vente de médicaments) et lutter contre des organisations très fortes qui gèrent toutes les décisions concernant la recherche et les partenariats à l'externe.»

Un autre observateur note, par ailleurs, que «les dirigeants des pharmaceutiques d'ici ne sont pas des experts en entrepreneuriat et n'ont vraiment pas d'expertise en accompagnement managérial».

Seule Merck Frosst s'est engagée à investir 100 millions sur cinq ans dans les PME et universités d'ici. Mais c'était pour faire passer la pilule de la fermeture de son centre de recherche de Kirkland, où bossaient 180 chercheurs et laborantins.

Un pas en avant, deux pas en arrière.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca