L'histoire de Bernard Grenier, ce mécanicien de la Montérégie qui vient de gagner 37,6 millions à la loterie, le montant le plus important jamais remis par Loto-Québec, a de quoi faire rêver. Pour n'importe qui d'entre nous, la somme est colossale. Même avec les taux d'intérêt maigrichons d'aujourd'hui, le magot de M. Grenier, placé à 1 %, rapporterait 7230 $ par semaine!

Tout fabuleux puisse-t-il paraître, ce lot n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan. L'an dernier, au Canada, les recettes tirées des loteries, casinos, machines à sous et appareils de loterie vidéo gérés par l'État (c'est-à-dire, essentiellement, les gouvernements provinciaux) ont atteint 13,8 milliards. Ce montant représente les recettes nettes, c'est-à-dire une fois déduits les lots versés aux heureux gagnants.

Le chiffre est extrait d'une étude publiée hier par Statistique Canada, et qui trace le portrait des jeux de hasard sur une période de près de 20 ans, soit de 1992 à 2009.

Le document confirme la poussée vertigineuse des loteries et autres jeux de hasard au Canada pendant cette période. En 1992, les recettes des jeux administrés par l'État représentaient 2,7 milliards. C'est donc dire qu'elles ont quintuplé depuis ce temps. Ces montants ne tiennent pas compte de l'inflation. Mais même en les ajustant selon l'indice des prix à la consommation, la progression demeure prodigieuse, à 248 %.

Une autre façon de mesurer la popularité grandissante de cette activité, c'est de compter les emplois. En 1992, les travailleurs dans le secteur des jeux de hasard étaient 11 000 à travers le Canada. L'an dernier, il y en avait 43 000. Cette progression spectaculaire est neuf fois plus rapide que le rythme de création d'emplois sur l'ensemble du marché du travail.

En réalité, les Canadiens jouent encore plus que cela, parce que ces données excluent les jeux ce hasard exploités par des réserves indiennes et des organismes de charité.

Pour ceux que ces chiffres peuvent inquiéter, il y a une lueur d'espoir : depuis trois ans, les recettes des loteries semblent plafonner.

Mais qui donc sont les joueurs qui engraissent ainsi les coffres de l'État à grands coups de milliards?

En fait, il n'y a pas de profil type. Un peu tout le monde joue. L'an dernier, pas moins de 70 % des ménages canadiens ont participé à au moins un jeu de hasard. Comme on s'en doute, les loteries d'État sont de loin les plus populaires : 62 % des Canadiens ont acheté au moins un billet de loto. D'autre part, 18 % des gens sont allés au casino, ou joué avec les loteries video et autres machines à sous installées à l'extérieur des casinos. Enfin, 30 % des ménages ont participé à d'autres jeux comme les bingos et les tombolas (le total dépasse les 100 % parce que certains ménages participent à plusieurs activités).

Une opinion largement répandue veut que les jeux de hasard fassent des ravages chez les ménages à faibles revenus. C'est, hélas, une réalité.

Certes, plus les revenus baissent, moins les gens ont tendance à jouer. Chez les ménages gagnant moins de 20 000 $ (les montants des revenus sont exprimés après impôts), seulement 51 % participent à au moins un jeu de hasard. Cette proportion grimpe à 77 % lorsque les revenus oscillent entre 60 000 $ et 80 000 $. Mais ces chiffres camouflent une véritable histoire d'horreur. Les ménages à faibles revenus dépensent en moyenne 395 $ par année aux jeux de hasard; chez ceux qui sont de trois à quatre fois plus riches, le chiffre équivalent est de 390 $. Ainsi, à un niveau de revenu de 12 000 $, un ménage peut dépenser 3,3 % de son revenu en billets de loto et autres jeux. Avec un revenu de 70 000 $, la dépense ne représente que 0,6 % du revenu. Toutes proportions gardées, les familles pauvres engloutissent une part beaucoup plus grande de leurs maigres ressources pour acheter du rêve.

Il y a encore pire : les machines à sous installées à l'extérieur des casinos. Ici, une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : 90 % des ménages à faibles revenus (20 000 $ ou moins) n'y touchent pas. La mauvaise : sur les 10 % qui se laissent tenter, les machines à sous représentent une véritable plaie : en moyenne, ils y dépensent, tenez-vous bien, 1090 $ par année. Pour certains, cela peut aller jusqu'à 10, 12, 15 % des revenus, revenus par ailleurs tout juste suffisants pour survivre.

Enfin, il existe d'importantes variations régionales. Les plus grands joueurs du pays sont dans l'Ouest. Les Saskatchewanais, qui dépensent en moyenne 830 $ par année en jeux de hasard, arrivent au premier rang, suivis par les Albertains, les Manitobains et les Britanno-Colombiens. À l'autre bout du pays, les Néo-Brunswickois sont les moins enclins à jouer, avec des dépenses de 365$, suivis des Néo-Écossais et des Prince-Édouardiens. Les Québécois, dans l'ensemble, peuvent être considérés comme des joueurs modérés, avec des dépenses de 440 $, contre une moyenne canadienne de 520$.