Au premier coup d'oeil, le sondage que vient de publier l'Association médicale canadienne (AMC) donne des frissons dans le dos.

Avec le vieillissement de la population, les Canadiens ont peur de payer beaucoup plus d'impôts pour maintenir un réseau de santé qui craque déjà de toutes parts. Et comme il faut s'y attendre, plus on est jeune, plus on est inquiet. Certains craignent que leur fardeau fiscal atteigne de tels niveaux qu'il anéantira leur capacité d'épargne, ce qui risque de retarder d'autant leur date de retraite. Adieu, les beaux projets de Liberté 55.

En entrevue avec ma collègue Sara Champagne, dans La Presse d'hier, le docteur Robert Ouellet, président sortant de l'AMC, parle d'un «tsunami gris», rien de moins.

On peut facilement comprendre ce vent de pessimisme. Cela fait des années qu'on nous chante sur tous les tons qu'il y aura de moins en moins de travailleurs actifs sur le marché du travail pour financer les soins de santé des aînés. Eh bien! nous y sommes: les premiers baby-boomers franchiront le cap des 65 ans cette année.

Or, si on y regarde de plus près, le tsunami appréhendé a de bonnes chances de causer beaucoup moins de dommages que prévu, pour un certain nombre de raisons.

L'image des jeunes travailleurs de moins en moins nombreux à supporter des retraités de plus en plus nombreux est incomplète et largement inexacte. Cette perception tient pour acquis que les retraités sont dépendants du système. C'était vrai il y a quelques années, ce l'est beaucoup moins aujourd'hui, et ce le sera de moins en moins à l'avenir.

La situation financière des retraités d'aujourd'hui n'a aucune espèce de commune mesure avec celle de leurs parents. Beaucoup de couples âgés ont une caisse de retraite bien garnie, ou des REER (souvent les deux), des dépôts bancaires, des fonds communs de placement. Ils ont fini de payer leur hypothèque et disposent d'un avoir net considérable sur leur maison. De plus en plus, les revenus des aînés atteignent des niveaux assez élevés pour qu'ils continuent, même à la retraite, de payer des impôts. Les jeunes travailleurs ne seront donc pas les seuls à porter le financement du système sur leurs épaules. Les aînés feront aussi leur part.

Il y a autre chose. Les aînés n'ont jamais été en aussi bonne santé qu'aujourd'hui. Plus que jamais, ils font du vélo, ils marchent, ils bougent, ils tiennent à garder la forme. Il est vrai que les personnes âgées coûtent cher au réseau de la santé. C'est normal: les problèmes de santé arrivent avec le vieillissement. Mais il serait hautement imprudent d'émettre des projections pessimistes à partir des dépenses des années passées. Parce que les aînés sont en bien meilleure forme, il y a de fortes chances que leurs besoins en soins et médicaments soient moins importants.

D'autre part, il existe présentement sur le marché du travail une mutation dont personne n'aurait pu prévoir l'ampleur il y a quelques années. Pour toutes sortes de raisons, les gens restent de plus en plus longtemps au travail. Selon les chiffres les plus récents de l'Institut de la statistique du Québec, les deux tiers des emplois créés au Québec depuis dix ans sont allés à des travailleurs âgés de 55 ans et plus. Deux emplois sur trois: c'est énorme - et le mot est faible - quand on sait que ce groupe de travailleurs ne représente que 15% de la population active. Autrement dit, depuis 2000, le nombre d'emplois occupés par les 55 ans et plus a augmenté de 83% - contre une augmentation de 13% pour l'ensemble du Québec. Et bon nombre de ces travailleurs demeurent actifs bien après l'âge de 65 ans. Bien entendu, ces aînés paient de l'impôt, comme tous les autres travailleurs.

Enfin, on peut certainement penser que les aînés qui en ont les moyens et qui ne veulent pas se taper les interminables délais d'attente du réseau public seront de plus en plus nombreux à faire appel aux services privés. Ce faisant, ils ne coûteront rien aux jeunes travailleurs et contribueront à désengorger le système public.

Certes, tous les aînés ne sont pas en bonne santé, et ce ne sont pas tous les retraités qui ont suffisamment d'épargnes pour vivre confortablement. Mais dans l'ensemble, il est clair qu'ils sont de moins en moins nombreux à dépendre financièrement de l'État, et de plus en plus nombreux à garder la forme. Dans ces conditions, il est fort possible que le «tsunami gris» ne s'avère au bout du compte qu'un inoffensif clapotis.